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de justifier leurs trames. N’accréditez pas vous-même la perfidie de ce vocabulaire de la haine. » Je contins ma révolte : c’eût été trop de duretés en une fois.

L’Impératrice nous avait laissé pressentir plutôt qu’indiqué le motif déterminant de sa résistance à nos conseils : la crainte que l’Empereur ne fût traité de lâche, comme le fut le prince Napoléon lorsqu’il quitta l’armée de Crimée, et qu’on l’insultât dans les rues de Paris. Ces craintes étaient chimériques ; aucun homme sérieux n’eût incriminé de lâcheté le souverain dont toute la vie était pleine d’actes de courage et le généreux peuple de Paris n’eut pas insulté, pour la première fois au jour du malheur, celui que jusque-là il avait constamment acclamé. Du reste, qu’importe ? Le vrai courage consiste parfois à paraître n’en avoir pas. On l’aurait sifflé ? Eh bien ! braver les sifflets entrait dans son métier d’empereur, et nous autres nous aurions rempli notre devoir de ministres en nous offrant aux sifflets à ses côtés, car nous n’entendions pas l’exposer à des avanies que nous ne partagerions pas.

La résistance de l’Impératrice n’était inspirée ni par l’intérêt dynastique ni par l’intérêt national ; c’était le sentiment dévoué d’une femme résignée à ce que son mari perdit le trône, non à ce qu’il perdit sa bonne renommée, sentiment privé honorable, mais nullement royal : un prince doit à l’occasion sacrifier sa renommée, sa gloire personnelle au salut de son peuple. « Un vrai roi, qui est fait pour ses peuples, et qui se doit tout entier à eux, doit préférer le salut de son royaume à sa propre réputation. »


XI

Une demi-heure après, l’Impératrice descendit dans la salle du Conseil. Les yeux rouges et pleins de larmes mal essuyées, elle donna lecture du télégramme que nous avions eu tant de peine à lui arracher. Que nous avions tort de délibérer avec le Conseil privé ! Persigny prit la parole et se répandit en exclamations : son esprit, véritable phare à éclipses, lucide à un moment, tombait à un autre dans une opacité intense. Il était dans une de ces obscurités : « L’Empereur, dit-il, ne peut rentrer à Paris après une défaite. Cette défaite n’a été qu’un accident ;