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Les fortes émotions éprouvées en commun, les rudes mais profitables leçons de l’expérience mûrissent l’âme des peuples et la marquent de leur empreinte, ineffaçablement. L’Italie traverse des heures qui auront, dans son histoire à venir, un immense retentissement.

A de telles questions, il est encore trop tôt pour répondre directement, mais le moment est venu de les poser ; en jetant un peu plus de lumière sur les origines et les péripéties de la guerre italo-turque, en montrant les conséquences qui apparaissent déjà, nous espérons, dans une certaine mesure, les éclairer.


I

La guerre italo-turque est avant tout un phénomène d’opinion. Elle est sortie de la rencontre d’un puissant courant d’idéalisme national avec certaines circonstances particulières de politique intérieure et extérieure.

La génération italienne qui aspire aujourd’hui à remplacer, à la tête des affaires, l’équipe fatiguée des politiciens vieillis dans les intrigues parlementaires, a été élevée dans le culte des héros du Risorgimento et s’inspire de leur esprit. Ceux-ci n’étaient qu’une minorité ardente, qui entraîna avec elle la bourgeoisie éclairée. Après avoir créé un Etat, ils voulaient faire une nation ; ils étaient, au sens propre, des nationalistes. « Maintenant qu’il y a une Italie, disait d’Azeglio, il faut créer des Italiens, » c’est-à-dire insuffler, dans ces corps d’hommes, venus de tous les points de la péninsule, des âmes italiennes. A leur nation ils offraient d’abord pour idéal l’unité, mais déjà leur foi patriotique dépassait les limites géographiques de l’Italie et plaçait devant leur jeune patrie


Un vase tout rempli du vin de l’espérance,


l’empire de la Méditerranée, qui devait échoir, un jour, par droit d’héritage, à la troisième Rome. Le livre célèbre de Gioierti : Il prlmato, est bien antérieur à la réalisation de l’unité. Ces libéraux idéalistes et patriotes, dans leur zèle, faillirent à plusieurs reprises compromettre leurs plus chères espérances que sauvèrent la prudence des politiques et l’habileté des diplomates. Plus tard, Crispi, premier ministre, voulut réaliser ces rêves grandioses ; il se mit au service de la force allemande pour