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mérites aussi, traiter cette doña Elvire et cette doña Anna. Au chef-d’œuvre de Mozart elles ont porté, l’une et l’autre, les coups les plus funestes. Décidément non, le style n’est pas l’homme, et la femme non plus. Le style de Don Juan n’est aucun de ces messieurs, aucune de ces dames. Rien ne leur est plus étranger, à toutes et à tous, que l’art ou seulement l’instinct d’exprimer la beauté musicale, après l’avoir sentie et comprise d’abord, par les élémens de la musique même. Ils s’en vont quérir au dehors, aux environs, ce qui ne se trouve qu’au dedans. Avoir du style, en musique, c’est tout simplement donner aux notes, à chaque note, leur valeur exacte, valeur d’intensité et valeur de durée ; c’est introduire dans une page, dans une phrase, les nuances de mouvement et de sonorité qu’elle comporte ; avoir du style, c’est chanter en mesure ; c’est aussi chanter, ou pianissimo, ou piano, ou mezza forte, ou forte, ou fortissimo, autrement dit modeler le son, c’est faire purement une gamme, un trait, un trille. Tout cela, c’est la musique, c’est le royaume de la musique, et parce que les interprètes d’un chef-d’œuvre musical entre tous ne le connaissent pas et ne l’ont pas cherché d’abord, le reste ne leur a pas, — il s’en faut de beaucoup, — été donné par surcroît.

Oui, Don Juan n’est que musique ; mais, par la musique, Don Juan est tout. On doute si cette musique est plus belle pour être liée étroitement à l’action, aux caractères, aux paroles, ou pour ne pas dépendre, en tant que musique pure, de ces élémens divers et pour les dominer. Dans l’ordre verbal, certaines retouches ont été faites au texte français, déjà tant de fois retouché. La nouvelle traduction, quand par hasard il nous fut donné de l’entendre, ne nous parut, ni point l’exactitude, ni pour l’élégance ou l’énergie, sensiblement supérieure aux versions précédentes. Elle fait quelquefois, comme celles-ci, bon marché du mot propre, du mot nécessaire. Du mot, et du nom pareillement, au moins d’un nom, celui du héros. L’intendant du théâtre de Munich, ayant organisé naguère des représentations modèles de Don Juan, conserva, partout où il est prononcé, le vocable italien « Don Giovanni. » Il eut raison, dans l’intérêt de la prosodie générale, et, en particulier, de la formidable apostrophe par où s’annonce lui-même à son hôte le convive de pierre. Sur ces quatre notes, que de syllabes, et lesquelles ! n’a-t-on pas essayées ! Nous avons mal saisi cette fois les termes de l’interpellation tragique. Mais jadis, à l’Opéra, le Commandeur ânonnait un certain « Don Juan… an ! » moins fait pour se chanter que pour se braire. Dans une autre version, plus conforme à l’euphonie, et moins au naturel, qui nous porte à appeler les gens par leur