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nom, le Commandeur s’écriait : « Voici l’heure ! » Et cela sonnait aussi faux, aussi maigre, que retentit avec puissance, avec logique, ce « Don Giovanni ! » que rien jamais ne vaudra. Si l’on objecte qu’il est singulier de nommer en italien un personnage espagnol sur un théâtre français, à la bonne heure. Mais alors, qu’il y ait pour tous une règle unique : faisons de Leporello Petit-Lièvre et donnons du « Monsieur Octave » au seigneur don Ottavio.

Don Juan est action et mouvement. Il est cela partout et toujours. Une vie intense ou légère anime l’opéra d’un bout à l’autre. Pas une scène, pas un air ou un ensemble, pas une phrase même ne traîne ou ne languit. Quel drame en musique offrit jamais une succession d’épisodes à la fois dramatiques et musicaux, un crescendo de coups précipités, redoublés, comme le sont en quelques minutes, dès le début du premier acte, l’entrée de don Juan et de doña Anna aux prises, le duel, la mort du Commandeur et, sur le cadavre encore chaud, la plainte entrecoupée, haletante, de la tragique orpheline ! A l’acte du bal, dans un genre plus tempéré, bien que la gravité, l’inquiétude et la menace même s’y mêlent à l’insouciance apparente, combien de mouvemens divers la musique ne sait-elle pas, en se jouant, entrelacer ! Maintenant elle les a rassemblés tous ; l’action décisive n’attend plus qu’un signal, et c’est assez du cri soudain jeté par Zerline, pour en déchaîner l’impétueux, l’irrésistible cours. Autant que par la vivacité, la musique de Mozart agit même par la lenteur. Je ne sais de comparable à l’agilité de sa course (air de Leporello, duo du cimetière) que la sûreté, l’infaillibilité de sa marche dans la dernière scène, entre don Juan et le Commandeur. Ainsi, toujours plus ou moins prompte, musique de comédie ou de drame, jamais la musique ne recule ou ne s’arrête seulement. Toujours vivante, mouvante, elle crée à chaque page, à chaque mesure, le mouvement et la vie. Pour les répandre, les prodiguer, les renouveler sans cesse, il n’est pas un élément, pas une forme sonore dont elle n’use : ici la mélodie, le rythme ailleurs, ou les timbres ; tantôt la voix et tantôt l’orchestre, tantôt leur concours ou leur concert à tous deux.

Autant que de mouvement et d’action, Don Juan est un drame et une comédie (dramma giocoso) de caractères. Don Juan est un chef-d’œuvre de psychologie musicale. Chaque figure sonore y est à la fois posée ou campée en quelque sorte d’ensemble, et « poussée » jusque dans le détail le plus minutieux. J’imagine que le plus illustre de nos musiciens, ennemi déclaré de l’expression musicale, aurait pourtant