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Corps législatif, ils étaient accueillis par les cris de : Vive la ligne ! Quand un député connu par ses opinions avancées passait, il était acclamé. Les tribunes publiques regorgeaient de démagogues ; ils échangeaient des signes d’intelligence avec les députés de la Gauche ; ceux-ci, agités, allaient et venaient de la salle des séances à la salle des conférences et au péristyle extérieur.


Après avoir à la hâte déjeuné au ministère, je m’acheminai à pied, seul, vers la Chambre, me dirigeant vers la rue de Bourgogne pour éviter la foule. Pendant ce trajet j’arrêtai définitivement le plan de combat que je suivrais : j’écarterais par le dédain les attaques du Centre gauche ; je ne paraîtrais pas soupçonner les arrière-pensées de la Droite ; je porterais tout mon effort contre la Gauche, et ne garderais plus aucun des ménagemens auxquels je m’étais astreint dans mes luttes précédentes. A la violence, je répondrais par la violence ; j’étalerais le complot ourdi, je le dénoncerais en face, et je dresserais en quelque sorte le réquisitoire préalable explicatif des arrestations qui s’opéreraient ensuite. Je supposais que la Droite ne resterait pas impassible dans cette lutte, qui ne tarderait pas à s’élever au-dessus d’un renversement de Cabinet, et qui deviendrait le choc entre l’insurrection et l’Empire ; que, laissant Duvernois et ses compères à leurs ressentimens, elle m’appuierait d’autant plus que je deviendrais plus énergique. Alors j’aurais répondu à son entrée sur le champ de bataille, en lui tendant la main du haut de la tribune et en scellant avec elle le pacte d’union pour sauver la France et l’Empire. J’arrivais ainsi, me sentant au dernier degré de la résolution, lorsque, étant entré sans encombre au Corps législatif, je vins m’asseoir à ma place dans l’attitude concentrée de quelqu’un qui va livrer une bataille suprême.

Personne ne m’accompagna à mon banc et ne vint me serrer la main ; aucun de mes collègues n’étant présent, j’étais seul ; d’Albuféra et les autres membres de la majorité se dérobaient ; quelques-uns me toisaient d’un air de menace ; d’autres chuchotaient ; la plupart restaient immobiles et silencieux ; on n’entendait pas le bourdonnement bruyant, prélude des grandes séances oratoires, mais le murmure sourd qui annonce les séances tragiques.

Schneider venait de monter à son fauteuil. Au moment où