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obligea Schneider à intervenir : « Votre proposition a un caractère essentiellement révolutionnaire ; je ne puis ni accepter, ni mettre en discussion une proposition ayant ce caractère. » Et avec une confiance que l’événement ne tarda pas à démentir, il ajouta : « Vous ne ferez pas de révolution avec cette Chambre-là »

Ces paroles parurent trop molles à Granier de Cassagnac. S’avançant dans l’hémicycle, la tête haute, la voix tonnante, le bras tendu et menaçant, sans se laisser troubler par les clameurs furieuses qui l’interrompaient à chaque parole, il jeta cette apostrophe : « L’acte qui vient de s’accomplir devant vous est un commencement de révolution donnant la main à un commencement d’invasion. Les Prussiens vous attendaient ! Lorsque Bourmont, d’odieuse mémoire, vendit sa patrie, il ne fit rien de plus que vous. Au moins Bourmont était un soldat, qui avait vu en face et de près les ennemis de son pays, tandis que vous, abrités ici derrière vos privilèges, vous vous proposez de détruire le gouvernement de qui ? de l’Empereur qui est en face de l’ennemi. Nous sommes venus ici sous la condition de notre serment qui constitue notre caractère et qui crée notre inviolabilité. Lorsque, par un acte révolutionnaire, on reprend son serment, on perd à la fois l’inviolabilité et le caractère qui en découle, pour rester de simples factieux. Et je vous le déclare, si j’avais l’honneur de siéger au banc du gouvernement, vous tous, signataires, vous seriez ce soir devant un conseil de guerre ! »

La Gauche effarée, hors d’elle, hurle, bondit, comme si elle sentait déjà sur son épaule la main du gendarme. Elle s’agite dans un véritable délire. Jules Simon se jette dans l’hémicycle et crie en gesticulant : « Nous sommes prêts à y aller au conseil de guerre. Si on veut nous fusiller, nous sommes prêts ; vous n’avez qu’à venir. » Jules Ferry, sous prétexte que Gramont s’est permis de rire, s’élance vers lui dans une rage comique : « Il n’appartient pas à un ministre qui, en ce moment même, songe à négocier une paix infâme... » Estancelin, Garnier-Pagès et quelques autres rejoignent Ferry et se dirigent d’un air agressif vers le banc de Gramont. Chevandier, absent au début de la séance et qui venait seulement d’arriver, se lève et les brave. Gramont ne se lève même pas ; il les toise avec hauteur. Je réponds ironiquement à Jules Simon : « L’honorable Jules