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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/741

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les virent et se tinrent prudemment cois, et plus encore les députés ; le brave qui devait proposer la déchéance et donner le signal de l’insurrection ne parut pas.

Certainement si le gouvernement n’avait pas été résolu, si le ministre de l’Intérieur, le préfet de Police et le maréchal Baraguey d’Hilliers n’avaient, chacun dans leur sphère, pris des mesures intelligentes, si le commandement militaire n’avait pas énergiquement soutenu les forces municipales, « si, au lieu de se porter de sa personne au Corps législatif et d’affirmer sa résolution par son attitude et son langage sans réticence aux députés, le maréchal s’était abstenu, la révolution aurait pu réussir dès ce jour-là, car la population qui entourait le Corps législatif était composée d’élémens semblables à ceux qui triomphèrent le 4 septembre[1]. » La révolte avorta le 9 août parce qu’elle trouva devant elle un ministère et un chef militaire décidés à l’écraser.

La vigueur que nous venions de déployer sous ses yeux aurait dû convaincre la Chambre que nul autre ministère ne la défendrait mieux et ne saurait mieux se mesurer avec la révolution. Mais les corps politiques ont leurs jours de panique, comme ils ont leurs jours de calcul : « C’était assurément une grande inconséquence aux partisans les plus ardens de la guerre d’en imputer les malheurs aux ministres à qui ils l’avaient imposée : mais ils n’avaient que le choix de se le reprocher à eux-mêmes ou aux ministres[2]. » Cette considération effaça toutes les autres. La Chambre se servit de la tranquillité que nous lui assurions pour mieux consommer notre renversement.


J’attendis la sortie des bureaux en me promenant devant la salle des conférences. Aucun de ceux qui me soutenaient si ardemment d’ordinaire ne s’approcha de moi et ne m’apporta un témoignage d’amitié. Mes collègues étant dispersés de côté et d’autre, je demeurai seul, apercevant dans les coins ceux qui se préparaient à me porter le dernier coup. Je ne fus abordé que par un de mes amis de l’Ecole de droit, Thoinnet de la Turmelière. Avec la familiarité de nos anciennes relations, il me dit : « Vous le voyez, la Chambre désire que vous vous retiriez ; votre

  1. Pietri, Déposition dans l’enquête sur le 4 septembre et le procès Trochu.
  2. Saint-Marc Girardin, Rapport sur le 4 septembre.