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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/746

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achever un raisonnement devant une assemblée furibonde de peur qui voulait frapper et non écouter. Oh ! certes, il y avait matière à un superbe discours, émouvant et élevé ; mais j’étais le seul auquel ce discours ne fût pas possible : je souffre encore de n’avoir pu le prononcer.-

Aucun ordre du jour de confiance ne fut opposé à celui de Duvernois. Aucun orateur ne flétrit la coalition de rancune, de convoitise et de passions qu’on abritait sous une apparence de salut public. Aucun ne stigmatisa l’expédient des boucs émissaires. Il y eut, cependant, un mot de raison. Il fut dit par le fou de l’assemblée. Piré : « Il est honteux de discuter à l’heure qu’il est. Vous devriez être tous unanimes, quand même les ministres auraient tous les torts. » Le président le pria de ne pas donner, par un excès de zèle, un déplorable exemple. Jouvencel ne trouvait pas l’ordre du jour clair. « Je ne sais pas s’il est besoin de l’expliquer, répliqua Schneider, mais je déclare que, quant à moi, j’en comprends parfaitement la signification. »

Je terminai ce pitoyable débat : «. Le Cabinet n’accepte pas cet ordre du jour. » Et il y avait dans mon accent quelque chose de si altier qu’il y eut comme un frémissement dans la Chambre. Cela ne dura qu’un instant. Elle se leva et à l’unanimité, moins une dizaine de voix, l’ordre du jour insultant, que son auteur n’avait pas eu le courage de venir défendre, fut adopté par assis et levé. La Gauche, qui n’avait pas présenté d’ordre du jour, ne prit pas la peine de se lever, constatant ainsi que l’œuvre subversive était commencée par la majorité gouvernementale. « Nous avons réussi a renverser le Cabinet, a dit Jules Simon, parce que nous avons eu tous les partis pour auxiliaires, même le parti de la Cour qui recueillit la succession[1]. »

Je demandai la suspension de la séance. Jérôme David me remit la lettre de l’Impératrice et je réunis mes collègues dans un bureau de la Chambre où je leur en donnai connaissance.


VII

A la reprise de la séance, Jules Favre demanda l’urgence pour les deux propositions qu’il avait déposées : l’une relative à

  1. Jules Simon, Souvenirs du 4 septembre, t. I, p. 253.