Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/866

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il ne peut rien, l’éducateur doit tenir compte des signes qu’il observe, aujourd’hui surtout, en un siècle de révolution lente et constante. M. Prévost n’y manque pas. Et il le fait avec un sens très judicieux de la réalité contemporaine.

Il a travaillé pour « la nouvelle couvée ; » on s’en aperçoit bientôt, et aux toutes premières pages du livre.

Qu’est-ce que l’éducation, Françoise ? Voici la réponse très nette, de votre oncle : « élever un enfant, c’est le mettre en état d’être le plus heureux possible. » L’objet de l’éducation, c’est « le bonheur futur de l’enfant. » Et il y a divers systèmes d’éducation « selon l’idée qu’on se forme du bonheur humain. »

Un peu plus loin, M. Marcel Prévost complète sa formule première ; et il écrit : « élever un enfant, c’est développer et discipliner ses forces innées pour le plus grand bien de son individu et de la société. » Bref, il ne s’agit pas d’un système individualiste, égoïste comme, un instant, on l’aurait cru. Mais enfin, l’objet de l’éducation c’est le bonheur humain, le bonheur des individus, — à commencer, Françoise, par votre enfant, — le bonheur.

Françoise ne sourcille pas. Je l’imagine qui répond : « Évidemment ! » et voire avec une gaie impertinence, comme si l’oncle n’avait rien dit qu’elle ne sût de tout son cœur. Si je fais mine de tenter une objection, elle me regarde avec de grands yeux étonnés ; elle s’écrie :

— Il ne faut pas que je prépare le bonheur de mon enfant ? …

Si, Françoise !… Seulement, la formule de l’oncle et le zèle avec lequel vous l’avez adoptée caractérisent notre temps, et le vôtre plus que le mien.

Jamais peut-être l’idée du bonheur n’avait été, comme aujourd’hui, l’âme de l’activité universelle. Toutes les classes de la société en sont pareillement éprises. Toutes sont animées d’elle, gouvernées par elle, au détriment du reste.

Le reste ?… Je me garderai de le dire, afin de m’épargner le sourire moqueur de Françoise.

L’idée du bonheur est mélancolique ; aussi, en dépit de son ardeur, ce temps ne paraît-il pas gai.

Il y a autre chose, pourtant ! Et, certes, je ne prétends pas qu’on ait offert, jadis ou naguère, aux mamans un système d’éducation qui omît le bonheur de ce qu’elles aiment le plus