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restreint. — Nulle part, je crois, Rousseau n’a su trouver des mots plus heureux pour exprimer son dédain de la métaphysique, son besoin d’une « vérité morale, » et ce que nous appellerions aujourd’hui son « pragmatisme, » que dans ses lettres à Dom Deschamps ; mais elles sont, en quelque sorte, perdues dans un livre d’Emile Beaussire sur Les antécédens de l’Hégélianisme. — Les pages les plus ardentes peut-être qu’il ait jamais écrites, celles aussi qui lui font le plus d’honneur, et qu’il est difficile de lire sans être remué, celles où le besoin d’aimer, et surtout d’être aimé, s’exhale et s’exalte en appels émouvans, d’une incontestable noblesse, sont réservées aux seuls lecteurs de la Comtesse d’Houdetot par M. Hippolyle Buffenoir : et j’ai grand’peur qu’ils ne soient moins nombreux que je le voudrais. — Depuis bien des années, un éminent érudit genevois, dont tous ceux qui savent les travaux, savent aussi l’exactitude et la sûreté, recueille toutes les lettres éparses de Jean-Jacques, inédites ou déjà publiées. Il les date, les classe, et prépare ainsi une édition générale de la Correspondance. Sont-ce les scrupules d’un travailleur trop exigeant pour lui-même et décidé à ne livrer au public qu’un ouvrage impeccable, ou les hésitations d’éditeurs trop prudens, qui retiennent jusqu’ici l’œuvre à peu près achevée dans les cartons de M. Théophile Dufour ? Je ne sais. Il faut désirer que toutes les difficultés soient enfin surmontées, et que M. Dufour nous fasse bientôt largesse de ses trésors. Mais si, comme je l’espère, l’entreprise doit aboutir, le reste de l’œuvre n’en paraîtra que plus misérablement édité, — indigence qui, je le crains, doit durer longtemps encore.

Et cependant les « rousseauistes » ne sont plus isolés aujourd’hui ; ils peuvent mettre en commun leurs recherches et leurs découvertes. Depuis 1905, la Société Jean-Jacques Rousseau existe. Sous la direction de lettrés excellens, très genevois par l’amour de la cité, très européens par la culture, elle a su réunir de partout les bonnes volontés et les compétences. Elle a constitué des Archives, où elle offre au travailleur, à portée de la main, la richesse de ses livres, de ses manuscrits et de ses fiches. Elle publie chaque année un recueil élégant et solide, où les textes inédits abondent, où les études de détail jettent la lumière sur telle et telle partie de la vie et de l’œuvre, où les plus avertis et les plus dévoués des bibliographes signalent inlassablement tout ce qui s’est publié, de par le monde, sur Jean-Jacques, documens