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nouveaux et vieilles erreurs, propos intelligens et radotages. Il semblerait, qu’avec un effort si soutenu et si bien discipliné, tous les espoirs fussent permis. Mais, tandis que la Société des études rabelaisiennes publie le premier volume des Œuvres de Rabelais, la Société Jean-Jacques Rousseau, sa contemporaine, n’a encore que des chances lointaines de pouvoir faire un jour pareil cadeau à ses membres. Voici pourquoi ; et ce « pourquoi, » peut-être mélancolique, aura du moins cet avantage de nous faire pénétrer plus profondément dans l’intimité de Rousseau.

Lui, qui a si fort maltraité la littérature et les gens de lettres, il appartient pourtant à la corporation ; il y appartient par son respect quasi dévotieux pour les moindres exercices ou fantaisies de sa plume. Peu d’auteurs ont plus écrit que Rousseau, — au moins pendant les dix années de sa grande production, — je veux dire : ont mis plus d’encre sur plus de papier ; et bien peu, pas un même peut-être, n’a conservé aussi scrupuleusement tous les témoins de sa vie littéraire, les plus humbles brouillons comme les belles copies à main reposée. De tous ces manuscrits, il a pu, en un jour d’affolement, à la veille d’être arrêté, en laisser brûler quelques-uns par le maréchal de Luxembourg ; mais, plus tard, à toutes les étapes de sa vie errante, s’il s’est séparé sans regret d’un petit mobilier qui gênait sa liberté d’ambulant, si, à Wooton, las désormais d’intellectualisme, il s’est résigné sans crève-cœur à vendre sa bibliothèque, il s’est toujours bien gardé de détruire ses manuscrits ou de les semer sur les grands chemins. Lorsqu’il fut expulsé de l’ile Saint-Pierre, et que Leurs Excellences de Berne lui accordèrent vingt-quatre heures pour plier bagage, il confia précipitamment ses papiers à son ami Du Peyrou. Une partie vint le rejoindre en Angleterre, une partie resta chez Du Peyrou, à Neuchâtel. Deux mois avant sa mort, étant encore à Paris, il remit à Moultou, son disciple, quelques pièces particulièrement précieuses ; mais les manuscrits qui restèrent, à sa mort, entre les mains de Thérèse, constituaient encore, semble-t-il, un lot considérable. On croit deviner ce qu’en fit Thérèse : elle en fit des cadeaux imprudens ou intéressés. Rien des cahiers de notes furent alors dispersés, et ont aujourd’hui disparu. Il ne semble pas non plus que les héritiers de Moultou aient conservé intégralement et que Rousseau avait confié à son ami. Ainsi réduits et dépareillés, les manuscrits de Jean-Jacques forment encore une masse