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platitude extrême. Et en voici pour lesquels il faut bien avouer que le seul mot qui serve est celui de coq-à-l’âne :


Dans un baiser amer
A ton père, ma fille...


ou bien :


Une brutale main
Avec le fer aigu fera de ta poitrine
Jaillir ton sang humain.


Car le moyen de frapper avec le fer la poitrine d’une jeune fille, et d’en faire jaillir un sang qui ne serait pas du sang humain ?

Je n’insiste pas ; ce serait fastidieux. Ce que j’ai voulu dire, c’est que la tragédie de Moréas est pleine de chevilles, d’inversions, de prosaïsmes et de fautes de français. C’est à peine si, dans les passages lyriques ou oratoires, le style est meilleur, et encore d’une élégance surannée et falote. A ce point de vue, le besoin ne se faisait pas sentir de mettre cette Iphigénie à la Comédie-Française, où il y en a une autre qui, elle, est très bien écrite et même correctement.

Une pièce a beau être en vers, il faut malgré cela faire quelque attention au caractère des personnages, à leurs actes et à leurs sentimens. Dans Iphigénie, il y a Iphigénie. Depuis le moment où, ayant fait le sacrifice de sa vie, elle est soulevée par l’exaltation grandissante, auréolée par les feux prochains de la gloire, son rôle est magnifique et fait passer en nous un peu de son enthousiasme. Mais nous avons eu un instant de surprise. Nous ne nous attendions pas que la jeune fille, tout à l’heure si désolée de mourir et qui suppliait si désespérément son père, dût se transformer si vite en une héroïne. Le revirement a été brusque. Dumas fils eût trouvé que cela manque de préparations, et Sarcey qu’il y a un trou dans la composition. Ménélas, paraît au début de la pièce : cela nous désoblige infiniment. Si Agamemnon est le roi des rois, son frère est le roi des cocus. Depuis que le ridicule de Molière a passé par là et que Ménélas s’appelle chez nous Sganarelle, le rôle n’est plus possible dans une tragédie. Celui d’Achille est piteux. Ce héros est prêt à toutes les violences, mais préférerait la douceur. Il accompagnera Iphigénie auprès des autels, pour le cas où, le sacrifice ayant cessé de lui plaire, elle se raviserait au dernier moment. On nous a changé notre Achille. Ce bouillant jeune homme en remontrerait pour la prudence à Ulysse lui-même. Son sabre est celui de M. Prudhomme qui sert à défendre les institutions ou, au besoin, à les combattre.