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Tout cela est dans Euripide... je le sais bien. Et puisque, dans Euripide, tout cela était à sa place, le plus sage était de l’y laisser. La nouvelle Iphigénie n’est qu’une traduction de la pièce antique, et Moréas s’est efforcé de se tenir aussi près que possible de l’original : cela est à l’éloge du traducteur, mais n’a aucune espèce d’importance au théâtre. Car nous n’avons pas le texte grec sous les yeux, et d’ailleurs nous ne comprenons pas le grec. Ces exercices, où il s’agit d’unir dans de savantes proportions la fidélité et la liberté, l’exactitude et l’aisance, ne sont nullement à dédaigner ; mais ils risquent de n’être tout à fait appréciés que par les gens de métier. Ils font merveille dans les milieux scolaires. Nos premières tragédies, œuvres de bons poètes du XVIe siècle, se jouaient dans les collèges. C’est le sort qui eût convenu à l’élégante version de Moréas.

J’ai à peine besoin de dire que Mme Bartet a été parfaite dans le rôle d’Iphigénie. Elle est toute l’interprétation. Et, en somme, il faut beaucoup pardonner à une pièce qui nous a permis de l’applaudir une fois de plus.


Esther princesse d’Israël est un drame historique et lyrique à grand spectacle et à grand orchestre. L’Odéon l’a encadré de somptueux décors, empruntés, je crois, au théâtre de Monte-Carlo. La figuration y est nombreuse et les musiciens y exécutent une véritable partition. Les auteurs sont MM. Sébastien-Charles Leconte et André Dumas ; le premier, poète de belle allure, qu’un mérite, incontesté de ses pairs, a fait nommer président de la Société des poètes français ; le second, plus nouvellement entré dans la carrière, et qui s’est fait une place des plus distinguées parmi les jeunes poètes. Ils ont, comme c’est aujourd’hui l’habitude, expliqué eux-mêmes au public ce qu’ils ont voulu faire. L’idée de leur pièce leur est venue en lisant un chapitre de Paul de Saint-Victor. L’auteur des Deux Masques y faisait remarquer qu’il y a deux Esther et que celle de Racine diffère beaucoup de celle de la Bible, ce qui est une remarque tout à fait judicieuse. À ces deux Esther ils résolurent d’en ajouter une troisième, qui ressemblerait, trait pour trait, à celle de la Bible.

Leur pièce commence par un tableau d’orgie, brossé, à ce qu’il me semble, dans le genre d’une toile de M. Rochegrosse qui, il y a une vingtaine d’années, fit sensation au Salon par sa fougue et ses dimensions. C’est à Suze, dans une grande salle du palais d’Assuérus reconstitué d’après les plus récentes découvertes de l’archéologie. Architecture, sculpture, mobilier, costumes, armes, vaisselle, mets et boissons,