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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/937

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il effraie plutôt qu’il ne tente la jeune Yaouma. Car elle est fiancée à Satni, le fils du potier. C’est pourquoi les fiançailles avec le Nil, quoique plus glorieuses, ne lui disent rien qui vaille.

Satni, qui revient de voyage, s’y est formé à des vérités nouvelles ; et, ayant connu que les dieux n’existent pas et que les prêtres sont des imposteurs, il a résolu de proclamer cet évangile. L’Egypte ne refuse pas de l’entendre, mais aussitôt elle altère la parole de ce sage et fausse ses enseignemens. Elle tient Satni pour l’envoyé d’autres dieux, plus puissans que les dieux connus jusqu’à ce jour, et en conséquence elle lui demande d’opérer des prodiges plus prodigieux que ceux accomplis par ses prédécesseurs. Les malades exigent qu’il les guérisse, les aveugles et les sourds qu’il les fasse voir et entendre. Et ceux qui convoitent le bien de leur prochain ou qui ont intérêt à sa mort comptent pareillement sur lui pour les aider dans leurs exécrables projets. Un être, plus que tous les autres au monde, croit à son caractère surnaturel : c’est Yaouma. Elle est curieuse et elle a l’esprit borné, car elle est femme : elle voudrait que Satni lui dise son secret. Lui ne sait qu’une chose, c’est qu’il faut renverser les idoles. Il les renverse. C’est fait : il n’y a plus de dieux.

L’acte suivant nous offre le tableau de ce que serait un monde sans religion. La brute humaine s’est déchaînée. On vole, on assassine, et tels qui, en d’autres temps, eussent été de bons bourgeois, se changent subitement en apaches. Pourquoi pas ? Le tout est d’échapper à la police ; il n’y a pas de sanction surhumaine ; il n’existe pas de gendarme divin. Cependant ceux qui souffraient, souffrent davantage : « La mort d’un enfant, gémit l’inconsolable Miéris, une mère n’y croira jamais tout à fait : c’est trop injuste et trop cruel pour être possible. On se dit : Ce n’est qu’une séparation. Tes doctrines, Satni, peuvent exprimer la vérité, mais puisqu’elles affirment l’éternité de cette désunion, puisqu’elles affirment cette chose irréparable, révoltante, que la mort de l’être aimé est définitive, je puis te dire que les femmes ne l’accepteront jamais. » Et les misérables sentent peser plus lourdement sur eux leur misère. Ainsi pense le propre père de Satni, et il ne le lui envoie pas dire : « Alors, c’est ça, la vie d’un homme pauvre ? Le travail dès l’enfance, les coups. Puis le travail, toujours le travail sans profit, seulement pour la nourriture. Et encore le travail... pour les autres. Pas une joie. On meurt... Et c’est fini ! Tu es revenu pour m’apprendre cela... Du travail, des coups, la misère... la fin. Naître, souffrir, mourir. Toute existence tient dans ces trois mots. Qu’est-ce que tu ès venu faire ici ? C’est ça ton œuvre ?