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Satni, Satni, rends-moi ma foi, je le veux. Ah ! pourquoi es-tu né, destructeur ? » Voilà ce que c’est que d’ouvrir la main quand on l’a pleine de vérités !

Aux deux derniers actes, le Pharaon et le Grand Prêtre se disputent comme bandits qui se disputent une proie, et finalement s’entendent comme larrons en foire. Ce grand prêtre est un homme captieux. Il circonvient Satni avec tant d’adresse qu’il fait de Satni le complice de la fourberie que Satni est venu dénoncer. Laissé seul dans le temple devant lequel se presse une foule implorant le miracle, et peu à peu gagné par la contagion de la folie mystique, Satni exécute lui-même la manœuvre destinée à abuser le peuple : une pression légère sur un levier. La déesse Isis baisse la tête : voilà ce que c’est qu’un miracle. Après quoi, Satni ayant eu honte et confessé sa propre supercherie, il est lapidé par le peuple. Les dieux d’Egypte sont plus en faveur que jamais. Et Yaouma vole au sacrifice avec un redoublement d’exaltation...

Nous parlons ici de théâtre, nous ne faisons pas de théologie ; aussi n’y a-t-il pas lieu de discuter la doctrine dont M. Brieux s’est fait le metteur en scène, et qu’au surplus les esprits les moins aveuglés par les préjugés trouvent aujourd’hui un peu étroite et simplette. Mais le rôle de l’écrivain de théâtre n’est que de donner aux idées, justes ou fausses, la forme dramatique, le mouvement, l’expression pittoresque et concrète. M. Brieux apporte dans tout sujet qu’il traite une sorte d’ardeur ingénue qui est l’âme même de son œuvre. Il l’a mise ici au service de la rhétorique libre-penseuse avec un talent incontestable, et il a réussi tout au moins à ne pas choquer le public, puisque la pièce a passé sans protestations à l’Odéon comme à Monte-Carlo. On peut regretter cependant qu’il l’ait intitulée : la Foi. Tout au plus, ce titre pourrait-il convenir par antiphrase, comme on donne aux Furies le nom d’Euménides, qui veut dire : les douces et les bienveillantes. Car on peut retourner en tous les sens et presser jusqu’à épuisement ces cinq actes, on n’y trouvera pas un atome de foi, et on ne pouvait l’y trouver, la foi étant, de tous les sentimens qui élèvent l’âme et la purifient, le plus élevé, le -plus pur, et celui qui commande le plus impérieusement le respect.


RENE DOUMIC.