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pendant la cérémonie ; et certes, le prince de Galles avait grand besoin d’être soutenu, car mon frère ma assuré qu’on avait beaucoup de peine à l’empêcher de tomber. Lui-même, d’ailleurs, a confié à mon frère qu’il avait bu plusieurs grands verres d’eau-de-vie afin d’avoir le courage d’aller jusqu’au bout de la cérémonie. »

Un mariage ainsi commencé n’avait guère de chances de devenir l’union intime et cordiale naïvement rêvée par Caroline de Brunswick. Dès les premières semaines, les efforts tentés par la jeune princesse pour se délivrer de l’odieuse tutelle de lady Jersey, maîtresse avérée de son mari, avaient transformé en une véritable haine l’antipathie instinctive du prince de Galles à son égard. Jamais plus, désormais, il n’allait consentir même à la revoir ; et elle, de son côté, on comprendra aisément qu’elle n’ait pas cru devoir se résigner longtemps à une vie aussi différente de celle qu’on lui avait promise à la cour d’Angleterre. Tout de suite après la naissance d’une fille, elle avait obtenu du Roi, son fidèle protecteur, la permission de s’éloigner de cette cour détestée, et s’en était allée demeurer avec la petite princesse Charlotte au village de Blackheath, dans une maison de campagne dont elle n’était sortie que dix ans plus tard, lorsque l’obligation de défendre son honneur outragé l’avait, pour quelque temps, ramenée à Londres. Un couple d’aventuriers qu’elle avait eu l’imprudence de traiter en amis l’avaient accusée auprès de son mari d’être la véritable mère d’un orphelin dont elle s’était, charitablement, constituée la tutrice. Aussitôt le prince de Galles avait fait nommer une commission secrète, avec l’espoir que les conclusions de celle-ci, établissant l’infidélité de sa femme, lui permettraient d’achever de se séparer d’elle au moyen d’un divorce. Mais la commission avait dû reconnaître, au contraire, la parfaite innocence de l’accusée ; et celle-ci avait été rappelée à la cour, où de nouveau le vieux Roi lui avait prodigué, aussi longtemps qu’il l’avait pu, les marques les plus touchantes de son affection.

Malheureusement, la folie de George III s’était aggravée au point de rendre indispensable la proclamation d’une régence. Devenu maître incontesté du pouvoir royal, le mari de Caroline de Brunswick s’était efforcé par tous les moyens de chasser de la cour une princesse dont l’obstination à réclamer ses droits risquait de provoquer les troubles les plus graves, aussi bien à la Chambre des Communes que parmi le peuple. Enfin Caroline, que les pires humiliations n’avaient pu abattre, s’était résignée à quitter l’Angleterre pour assurer la tranquillité et le bonheur de sa fille : car la belle, intrépide, et admirable