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derniers effets n’ont pas encore entièrement disparu. Vaincu, mais non découragé, et croyant toujours à l’avenir de son idée (car à force de prêcher le Home Rule, il avait fini par y croire), Gladstone dit adieu à la politique et légua à lord Rosebery l’autorité précaire qu’il venait d’exercer à force d’ascendant personnel. Alors tous les élémens hostiles dont était faite la majorité de 1892 et que maintenait ensemble la volonté de Gladstone se séparèrent et l’Angleterre connut, pour la première fois, le tort irréparable que font les groupes au parlementarisme. Ceux qui connaissent lord Rosebery, — ce sensitif caché sous un ironiste, — peuvent imaginer ce qu’il souffrit pendant ces deux années de luttes stériles, placé entre les autonomistes irlandais et les non-conformistes gallois. Il s’échappa enfin de cette galère et les élections générales de 1895 ramenèrent au pouvoir une majorité unioniste qui fut encore accrue aux élections suivantes. En effet, dans l’intervalle, la guerre du Transvaal était venue ajouter aux dissentimens qui divisaient le parti libéral, déjà si diminué numériquement, une nouvelle cause de faiblesse. Un grand nombre de libéraux se convertirent avec éclat à l’idée impérialiste, et c’est à cette occasion que fut fondée la New Liberal League, dont lord Rosebery était le président avec MM. Asquith et Haldane, et sir Edward Grey pour assesseurs. Cette ligue, qui reconstitua le parti, et prépara le triomphe électoral de janvier 1906, avait, tout naturellement exclu le Home Rule de son programme en y inscrivant l’Impérialisme, car ces deux termes semblaient former une irréductible antinomie. A cet égard, les membres de la ligue, y compris ceux que je viens de nommer, s’exprimaient sans ambages et leur silence était parfois plus significatif encore, car, en politique, pour une doctrine comme pour un homme, il est pire d’être oublié que d’être combattu.

Pour nous, les spectateurs, nous jugions le Home Rule définitivement enterré. Nous avions tort : nous comptions sans cette obstination invincible, sans cette patience de l’Irlande qui ressemble parfois à de l’impatience, mais qui n’en est pas moins réelle. De longs siècles d’oppression lui ont appris à attendre, et elle attend. Dans le Parlement, le parti restait en armes, sans avoir perdu une seule des unités qui composaient son effectif de combat. Un aimable journaliste, trop bienveillant et trop modeste pour le rôle difficile qu’il avait à jouer, avait été censé