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et, après avoir pris deux ou trois jours pour digérer l’incident, on recommença toute cette procédure.

Une nouvelle « résolution » a été votée. Sauf une ou deux lignes, elle est exactement semblable à l’ancienne, mais la forme, — cette forme si chère à Bridoison ! — est sauvée. En somme, manœuvre peu loyale de l’opposition, abus de pouvoir tenté, sinon accompli, par le premier ministre ; le tout couvert, régularisé, escamoté avec un sérieux admirable, tel est le bilan de cette singulière semaine. Elle n’a pas été bonne pour le régime parlementaire.

Elle n’a pas été meilleure pour l’Irlande. M. Asquith a profité, en effet, de l’incident pour rétrécir encore le champ où va se mouvoir l’initiative de l’Irlande en matière de finances. Elle ne pourra pas diminuer les impôts douaniers comme le droit lui en avait, d’abord, été promis. La politique financière qu’on impose à l’Irlande se résume, finalement, en ceci : on lui conseille d’être économe, afin de se libérer plus tôt envers l’Angleterre, sa bienfaitrice ; mais on ne lui laisse pas les moyens de diminuer ses dépenses ni d’augmenter ses revenus.


VII

Sheridan demandait un jour au vieux Woodfall, qui avait passé sa vie dans la « galerie » de la Chambre des Communes : « Avez-vous jamais vu les opinions changées par un discours ? » « — Les opinions, quelquefois, répondit Woodfall ; les votes, jamais ! » Aujourd’hui comme il y a cent quarante ans, le mot d’ordre du parti ou du groupe ne laisse aucune place aux impressions personnelles. Non seulement la majorité en faveur du Home Rule bill était prévue, mais le chiffre de cette majorité était connu d’avance, à deux ou trois voix près.

Maintenant le bill va être envoyé à la Chambre des Lords. Qu’en fera-t-elle ? C’est la question que tout le monde s’adresse et que, probablement, elle s’adresse à elle-même. Elle peut accepter le bill tel qu’il est ; elle peut le discuter longuement (car, chez les nobles pairs, la guillotine perd ses droits), et le renvoyer à l’autre Chambre avec des amendemens qui en dénatureraient le caractère mais qui seraient infailliblement rejetés. Elle peut, alors, laisser passer la loi ou la condamner par un vote négatif.