Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cinquante-huit ans plus tard, à la fin de juillet 1870, une escadre cuirassée française circulait sur le littoral de la Baltique. Elle apparaissait successivement à l’ouvert de la baie de Kiel, devant Swinemünde, devant Colberg, devant Dantzig enfin ; mais l’on sentait trop que ce n’était là qu’une vaine parade, une promenade militaire sans portée. Cette force navale, en effet, n’était suivie d’aucun navire de charge ; elle ne montrait point comme on l’a dit alors, « un seul pantalon rouge… »

Et pourtant l’effet moral de l’arrivée de notre escadre, doublé par la connaissance que l’on avait des projets de descente caressés par le gouvernement français, cet effet moral, — incertitude, anxiété, émoi des populations, prévoyance qui ne veut pas se laisser prendre en défaut, — tout cela faisait que le grand état-major allemand retenait sur la côte le corps d’armée n° II, un des meilleurs (les Poméraniens), et la 13e division d’infanterie (Mecklembourg).

Ce ne fut que bien des jours après l’apparition des sept frégates blindées de l’amiral Bouët-Willaumez, vers le 10 août, quand il devint évident que nous ne songions pas du tout à faire un débarquement, que les Poméraniens furent dirigés sur la Lorraine. Arrivés à Pont-à-Mousson le lendemain de Rezonville et la veille de Saint-Privat, acheminés sur Mars-la-Tour d’abord, puis sur le « Point-du-Jour » où, depuis le matin du 18, la droite allemande luttait contre la gauche française, ils apparurent comme des sauveurs sur le champ de bataille, à la nuit tombante, juste à temps pour recueillir les VIIe et VIIIe corps et pour épargner à la 1re armée une déroute qui eût largement balancé l’avantage que la 2e remportait au même moment sur notre aile droite, à Saint-Privat et à Roncourt[1].

Il est douloureux de penser que quelques feintes faciles à imaginer et à faire exécuter par notre escadre qui, elle, était absolument maîtresse de la mer, eussent suffi à retenir quelques jours de plus le IIe corps sur le littoral de la Baltique. Le résultat, — ce n’était rien moins, peut-être, que le sort de la guerre, - ; — valait bien sans doute qu’on armât quelques transports ou que l’on frétât au Havre quelques vapeurs pour y embarquer un ou deux milliers d’hommes. Avec les compagnies

  1. L’imagerie populaire allemande représente, à ce moment critique de la bataille du 18 août, Moltke mettant l’épée à la main pour conduire lui-même les Poméraniens au dernier assaut du « Point-du-Jour. »