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Si je ne me trompe, tel est Flaubert à l’égard de son temps et, pour ainsi dire, en face du problème que son temps lui posait. Or, ce problème, dont j’indique la formule de 1857, donnons-lui toute sa portée : c’est le problème de l’art même. Tout art en est une solution ; et, au principe de l’art, il s’agit de savoir quelle attitude l’artiste garde vis-à-vis de la réalité. Dans un récent volume, savant et joli, Les origines du roman réaliste, M. Gustave Reynier cherche, parmi les œuvres du moyen âge et de la renaissance, les commencemens de ce « genre littéraire. » Mais, si le roman réaliste peut être appelé, en effet, un genre littéraire, la question du réalisme est plus vaste, plus générale ; et elle date des origines de la littérature, des origines de l’art, elle date de là et suit les tribulations séculaires de l’art et de la littérature : il s’agit de la somme de réalité que l’art, — et littéraire, par exemple, — est capable de prendre et d’animer. Il n’en désire presque pas, il la dédaigne ; ou bien il la prise et il la veut. La dose de réalité qu’il absorbe, la manière dont il la traite : ainsi se caractérise un art.

Bref, l’esthétique de Flaubert, nous la trouvons premièrement installée au point vital de la littérature. Mais elle est une esthétique et, aussitôt, encourt le reproche de pédantisme. On se dépêche de conclure. On redoute qu’une esthétique entrave la spontanéité de l’artiste. La spontanéité de l’artiste, si l’on y songe, est plus dangereuse. Quel mal y a-t-il, et quel perd, à ce que l’artiste ait médité ses volontés et ne cède pas, tout simplement, à ses velléités de hasard ? Ces velléités, en cas de réussite, on les qualifie d’un nom qui plait, l’inspiration. Eh ! l’inspiration (sauf la chance de quelques-uns ; et lesquels ?) n’est-elle pas le bel accomplissement d’une esthétique sous-entendue ? L’auteur la dissimule, comme l’architecte enlève les échafaudages, la bâtisse achevée.

Au surplus, j’accorde que Flaubert soit, de nos écrivains, l’un des plus assidûment réfléchis, l’un de ceux qui ont eu la conscience la plus nette de leurs intentions. En revanche, n’accordera-t-on pas qu’il ait été l’un des plus intelligens ?

Pour les amis d’un art exubérant, c’est peu de chose.

Mais on nous représente Flaubert comme le martyr de son esthétique et le maniaque d’un règlement fixé par lui, l’héautontimorouménos, bourreau de soi. S’U faut le dire, même ainsi je l’aimerais, tant nous avons d’écrivains qui sont aux petits soins pour eux et pour la vaine abondance de leur génie : des écrivains en bras de chemise ; et les pantoufles. D’autres ont le cilice.