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Le cilice, en telle aventure, n’est-il pas une folie ?… On nous fait un Flaubert absurde, avec son esthétique, une toquade.

Si nous examinons et l’homme et l’esthétique, nous les voyons en excellent accord, extrêmement raisonnables l’un et l’autre, et celui-ci qui, judicieux, avait choisi celle-là, celle dont il avait besoin, celle précisément que réclamait la nature de son esprit. C’est ainsi qu’un système est vivant.

Notons, — car tout en dérive, à mon gré, — la sensibilité de Flaubert. Une terrible sensibilité, prodigieusement frémissante. Il écrivait (M. Bertrand cite ce passage de la Correspondance) : « S’il suffisait d’avoir les nerfs sensibles pour être poète, je vaudrais mieux que Shakspeare et qu’Homère, lequel je me figure avoir été un homme peu nerveux. Cette confusion est impie (de la poésie, de l’art et de la sensibilité), j’en peux dire quelque chose, moi qui ai entendu à travers des portes fermées parler à voix basse des gens à trente pas de moi, moi dont on voyait, à travers la peau du ventre, bondir tous les viscères et qui parfois ai senti, dans la période d’une seconde, un million de pensées, d’images, de combinaisons de toutes sortes, qui jetaient à la fois dans ma cervelle comme toutes les fusées allumées d’un feu d’artifice. » Une sensibilité de malade, dira-t-on, puisqu’on sait qu’il était épileptique. D’ailleurs, si cette indication manquait, je m’en passerais volontiers. La même sensibilité, ne la remarque-t-on pas chez beaucoup de gens qui ne tombent pas du haut mal ? Cette infirmité, dont l’auteur de la Bovary a cruellement souffert, n’atteignit pas son talent, qui est sain. La sensibilité de Flaubert, en ce qui concerne son œuvre, est celle d’un artiste ; et l’analyse d’une telle sensibilité révèle, en son mystère de plus lointain, le germe fécond de l’art. Mais il nous faut aller ici jusqu’à ces profondeurs de l’âme où, de la subconscience, se dégagent les tendances premières.

Du reste, prenons garde. Il y a des artistes, souvent habiles, et pour qui l’art est un métier comme un autre. Ils ne l’auraient pas inventé ; ils l’adoptent : parfois, ils n’y réussissent pas mal. L’argent les tente, ou la gloire. Mais Flaubert, ce n’est pas cela. Il avait un peu de fortune et s’en contentait. Quand la Bovary eut fait scandale, dans la Revue de Paris et à la Chambre correctionnelle, l’éditeur l’eut, moyennant vingt-cinq louis, pour cinq années : en deux mois, il vendit quinze mille exemplaires, d’ailleurs. Encore n’avait-on pas facilement décidé Flaubert à publier son livre. Cette réclame, un procès dont les journaux retentissaient encore, le dégoûtait ; et il méprisait ce tapage « tellement étranger à l’art. » Il ajoutait : « Je n’aime pas, autour de