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Alors, faute de l’amour, faute du dévouement et faute de l’action, ce sera, en définitive et comme à bout de ressources, l’art, le dernier stratagème d’une sensibilité en peine de renoncement. L’art, faute de l’amour ; et Flaubert écrivait à George Sand : « Je ne suis pas si cuistre que de préférer des phrases à des êtres. » La femme inquiète et qu’il engageait à ne plus vivre en elle, ne l’eût-il pas dirigée vers les œuvres charitables ? En attendant, il lui disait : « Associez-vous par la pensée à vos frères... » Quels frères ?... « à vos frères d’il y a trois mille ans ! » Il l’envoyait à l’étude et aux livres ; il l’envoyait au passé, qui est une œuvre d’art immobile.

L’art est, pour un Flaubert, le suprême moyen de sortir de soi : car l’on ne peut tenir en soi. Il écrivait pour réaliser hors de lui-même l’émoi qu’il avait en lui et qui le tourmentait « à le faire crier, » dit-il. Et voilà cette prétendue « impassibilité : » que de sottises n’a-t-on pas lancées, touchant l’impassibilité de Flaubert ! Il n’y a pas en d’intelligence plus chaude, ni de cœur plus bouillant. Mais il cherchait dans l’art son repos, — mettons, l’impassibilité, — comme sa délivrance. Il n’était pas impassible d’abord.

Conséquence : l’art, ainsi conçu, doit être impersonnel. Flaubert l’a répété maintes fois ; et l’on connaît ses formules impérieuses. On les a déclarées paradoxales. Non ! Et, en tout cas, le principe est juste. L’art commence à la minute même où le sentiment se détache d’une individualité, prend les dehors d’un objet qui, tout seul, existe.

Il est possible que Flaubert ait poussé le principe jusqu’à ses bornes extrêmes et, j’y consens, au delà des bornes indispensables. Mais, quoi ! n’avait-il pas à réagir contre la fureur individualiste des romantiques ? Ceux-là manquaient de toute retenue ; et, le vice de leur esthétique, on l’a vu, quand Lamartine publia le commentaire anecdotique de ses Méditations : il n’avait couvert que d’un voile léger les sentimentales péripéties de son existence et, le léger voile, il l’écartait. Flaubert, en son temps, eut à réagir. Averti par les violences de sa propre sensibilité, mis en garde par elle, il réagit plus énergiquement. Il s’est aperçu de la dépravation à laquelle l’art courait ; et il résolut d’enrayer le mal. S’il l’a fait avec rudesse, la leçon n’en est pas moins bonne, aujourd’hui encore, après tout un siècle de lyrisme éperdu. Flaubert, en somme, retournait à une idée de l’art qui est exactement celle de nos écrivains classiques. Mais il y retournait : ce n’est pas la même chose que d’y être. Et, pour y aller, il partait du romantisme, de son erreur superbe. Il arrive au même point ; seulement restent en lui le souvenir et la peur de la faute ; il a les