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débat ? Il ne le dit pas, il semble les approuver tous les deux :


Roland est preux et Olivier est sage. Tous deux sont de courage merveilleux. Une fois à cheval et en armes, jamais pour éviter la mort ils n’esquiveront une bataille. Les deux comtes sont bons et leurs paroles hautes.


Mais encore, lequel a raison ? Sans doute on admire les paroles de Roland : il ne veut pas, dit-il, que par sa faute son lignage soit honni et douce France abaissée ; il aimerait mieux la mort. Mais les mêmes paroles, lequel des vingt mille vaillans qui sont là, prêts à son service, ne les dirait pas aussi, ailleurs qu’à Roncevaux ? A Roncevaux, est-ce le cas de les dire ? A Roncevaux, il ne s’agit pas de défendre le sol natal, — nul ne le menace, — mais seulement de tirer d’une laide embûche les meilleurs hommes de Charles, sa noble « maisniee, » «. la flur de France. » Tant que l’on a pu douter de la trahison, on est resté au lieu choisi par le traître, pour lui prouver qu’on n’avait pas peur ; on le pouvait alors, on le devait ; mais maintenant ! S’il y a honte à appeler à l’aide quand on peut se battre seul, en quel temps, en quel pays, quel chef, surpris par un ennemi trop nombreux, a jamais hésité à demander du renfort ? « D’iço ne sai jo blasme, » dit très justement Olivier. Certes, ce qui distingue Roland d’Olivier, c’est que Roland espère vaincre ; mais, s’il l’espère, ce n’est pas en capitaine qui aurait apprécié les forces ennemies ; il n’a même pas daigné monter sur la hauteur, comme a fait Olivier, pour les apprécier ; et plus Olivier lui dit qu’elles sont immenses, plus il s’exalte : « Mis talenz en engraigne, » dit-il, en sorte que, si elles croissaient encore, son désir de bataille croîtrait d’autant. Il est « preux, » dit le poète, et Olivier est « sage. » Qu’est-ce donc être preux, et qu’y a-t-il en ce mot ? Prouesse, ne serait-ce qu’orgueil, le pire des vices, au sentiment chrétien ? Ne serait-ce que folie, comme le pense Olivier ?

Ainsi, avec sa force et sa hardiesse coutumières, Turold a osé placer son héros dans les conditions les plus défavorables, au risque de faire apparaître sa décision comme un caprice de son orgueil et de nous faire admirer ses compagnons à son détriment, si Roland les sacrifie, en une bataille de pure magnificence, à un point d’honneur suspect. Mais par là Turold a obtenu que l’intérêt ne sera point dans les épisodes extérieurs, dans les grands coups d’épée ; l’intérêt sera tout entier dans le