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Il n’y a point de solution imaginable, hormis celle que la Chanson de Roland nous offre, et que seul un poète de génie pouvait trouver. Roland, maître d’appeler, refuse d’appeler, mais pour des raisons qui semblent étranges, et qui le sont en effet, puisqu’elles choquent Olivier, son plus cher compagnon, son double. Olivier est monté sur une hauteur, d’où il a vu les troupes ennemies, innombrables. Il revient et dit (v. 1039) :


« J’ai vu les païens ; jamais nul homme sur terre n’en vit plus. Ceux de devant sont cent mille, l’écu au bras, le heaume lacé, vêtus des blancs hauberts, la lance droite, et leurs épieux bruns reluisent. Vous aurez bataille, telle qu’il n’y en eut jamais. Seigneurs Français, que Dieu vous donne le courage ! Tenez ferme dans ce champ, afin que nous ne soyons pas vaincus ! » Les Français disent : « Honni qui s’enfuira ! S’il s’agit de mourir, pas un de vous ne fera défaut ! »

Olivier dit : « Les païens sont en force et nos Français sont bien peu. Roland, mon compagnon, sonnez votre cor. Charles l’entendra et fera revenir l’armée. » Roland répond : « Ce serait agir en fou. J’y perdrais ma gloire en douce France. Mais je frapperai de Durendal de grands coups ; sa lame saignera jusqu’à l’or de la garde. Les félons païens sont pour leur malheur venus aux défilés. Je vous le jure, ils sont tous condamnés à la mort. »

« Roland, mon compagnon, sonnez l’olifant. Charles l’entendra ; il fera revenir l’armée, il nous secourra avec toute sa baronnie. » Roland répond : « Ne plaise à Dieu qu’à cause de moi mes parens soient blâmés et douce France avilie. Mais je frapperai de Durendal, de ma bonne épée que j’ai ceinte au côté ; vous en verrez la lame ensanglantée. C’est pour leur malheur que les félons païens se sont assemblés. Je vous le jure, ils sont tous livrés à la mort. »

« Roland, mon compagnon, sonnez votre olifant. Charles l’entendra, qui passe les Ports. Je vous le jure, les Français reviendront. » « Ne plaise à Dieu, lui répond Roland, qu’il soit jamais dit de nul homme vivant que j’ai sonné du cor pour des païens ; mes parens n’en auront pas le reproche. Mais, quand je serai dans la grande bataille, je frapperai mille coups et sept cents, et vous verrez tous sanglant l’acier de Durendal. Les Français sont preux : ils frapperont bien. Ceux d’Espagne n’échapperont pas à la mort. »

Olivier dit : « Pourquoi vous blamerait-on ? (D’iço ne sai jo blasme.) J’ai vu les Sarrasins d’Espagne. Les vaux et les monts en sont couverts, et les landes et toutes les plaines. Grandes sont leurs armées et bien petite notre compagnie. » Roland répond : « Or mon désir de me battre s’en accroît. (Mis talenz en engraigne) Ne plaise au Seigneur Dieu, à ses saints, à ses anges, qu’à cause de moi France perde sa valeur. Plutôt mourir qu’encourir une honte. C’est pour les beaux coups que nous frappons que l’Empereur nous aime. »


On les écoute, on s’étonne. Que pense le poète de leur