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— puis elle me demanda si, à New-York, on ne m’avait rien raconté, touchant son mari, qui pût lui fournir quelque lumière. Je répondis la vérité, c’est-à-dire négativement ; et ensuite je lui demandai à mon tour, sur le ton de la plaisanterie, s’il était vrai que son mari ressemblât à Néron.

— Laissons de côté la cruauté, dis-je avec un sourire. Mais Néron était un être faible, hésitant, peureux. Or un banquier peut être tout ce que vous voudrez, un vautour ou un coupeur de bourse ; mais il doit avoir de l’énergie...

Tandis que je parlais ainsi, Mme Feldmann était fort occupée à étendre avec ses deux mains, sur son genou gauche, un coin de son voile blanc.

— Vous en êtes bien sûr ? répondit-elle avec lenteur, en levant les yeux sur moi et en me regardant avec un fin sourire.

— Mais sans doute ! m’écriai-je, sur un ton un peu professoral. Les banquiers sont les condottieri du monde moderne.

— Pour vous, savans, qui regardez les choses de haut ; mais pour les femmes qui sont obligés de vivre avec eux jour et nuit.... cela n’est pas aussi certain.

— Voulez-vous nier, insistai-je. que les Morgan, les Rockfeller, les Underhill soient des hommes à poigne ?

— Quant à Underhill, interrompit-elle vivement, celui-là, oui, c’était un grand homme !

— Vous l’avez connu ? interrogea ma femme. Nous devions déjeuner avec lui, à New -York, trois mois avant sa mort. Je ne me rappelle plus quelle circonstance nous en a empêchés.

— Underhill, répondit Mme Feldmann, était notre ami intime. La banque Loventhal est une de celles qui aidèrent Underhill à réorganiser le Great Continental.

— Quel homme était cet Underhill ? demanda Gina. M. Otto Kahn nous a raconté que c’était un homme très intéressant...

— Un homme extraordinaire ! déclara résolument Mme Feldmann. Mais comprenez-moi bien : il n’était pas homme du monde pour un centime. Il n’aurait pas su faire de différence entre la toilette que je porte et les vêtemens de cette Américaine mariée à ce jeune docteur... Et pourtant, que de fois j’ai répété à mon mari : « Celui-là, c’est un homme ! »

Je pensai à part moi : « Celui-là, c’est un homme ! Mais alors, qu’était donc le mari ? » Et je lui posai une question. Quand avait-elle connu Underhill ?