Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la faim, il s’affirma de toute sa force. Il s’était, au début, réfugié et comme effacé dans l’ombre de la bourgeoisie, laquelle, pensait-il, stipulerait pour lui tandis qu’il opérait pour elle. Plus tard, vers 1792 ou 1793, il s’émancipa, s’affranchit d’une tutelle égoïste, et, s’il ne se chargea pas encore de ses affaires, il s’habitua à exiger de temps en temps des comptes. A partir de là, il put sembler, de temps en temps et d’un certain point de vue, que « la Révolution était devenue la chose du prolétariat, que les bourgeois n’étaient conservés à la direction qu’en qualité de gérans d’une entreprise dont ils n’étaient plus les maîtres. » Tocqueville ne se trompait guère, mais il se trompait, en disant que « la Convention ne contenait peut-être aucun homme du peuple ; » elle en contenait quelques-uns, « quelques représentans authentiques de la classe ouvrière, » l’ouvrier armurier Noël Pointe, de Saint-Etienne, l’ouvrier drapier Armonville, de Reims, l’ouvrier en soie Cusset, de Lyon. « Depuis le 10 août, les prolétaires avaient conquis le suffrage universel, ils étaient représentés dans les municipalités, dans les comités de surveillance ; » et le père Lavale, le savetier de Restif de la Bretonne, eût estimé son état à la fois « honnête et honorable, » s’il lui avait été donné de contempler l’image où le président d’un de ces comités, cordonnier à son ordinaire, remplissait sa magistrature sans cesser de tirer le ligneul.

Cependant, au vrai et au total, les « revendications ouvrières » ne sont que des cris isolés dans une longue et sourde rumeur qu’on devine plus qu’on ne l’entend. Au vrai et au total, il est permis, et il est juste, de conclure : « La question sociale ne se posait pas de même (qu’aujourd’hui) en 1789... A ce moment-là, la question sociale n’était pas encore une question ouvrière ou paysanne, mais une question bourgeoise... La question sociale ne se posait pas alors comme aujourd’hui entre des ouvriers et des paysans, des salariés d’une part, et des bourgeois, des industriels de l’autre, mais entre des privilégiés et des non-privilégiés. Quiconque était roturier, quelle que fût sa condition sociale, était par cela même l’adversaire des nobles. Les paysans, les ouvriers n’avaient pas encore appris à séparer leurs intérêts de ceux des bourgeois ; ils n’avaient pas une conscience de classe distincte ; les uns et les autres se sentaient solidaires, ils formaient bloc contre l’ennemi commun. » Il est même permis et nécessaire d’y revenir : « En 1789, les