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précisément il s’agit d’un inconscient qui est au seuil de la conscience, qui y affleure et dont on peut dire que le poète le voit ou le croit voir, aut videt aut vidisse putat ; et celui-ci, ce n’est bien qu’en nous que nous pouvons le saisir, — ou goûter le plaisir qu’il nous échappe.

Il est donc naturel que le poète symbolique soit ramené par ses démarches naturelles elles-mêmes à la poésie personnelle et confidentielle (dans une mesure que nous verrons plus loin). M. Vielé-Griffin a très bien vu cela, quoique l’ayant exprimé d’une manière trop « paroxyste, » comme on dit aujourd’hui : « Ce qui caractérise le symbolisme, c’est la passion de la vie... » Mais de quelle vie ? De la sienne, qui crée toutes les autres : « La doctrine égoïste qui fait de moi, seul existant, le créateur sensitif de l’univers, — doctrine que nous accepterons sans discussion, — serait illogique, si elle n’assignait à son art l’œuvre unique de traduire ce moi, synthèse inconsciente en symbole, qui exprime ce moi dans son harmonieuse conscience... Le travail du poète demanderait (donc) auto-psychologie intuitive... La poésie est l’expression de l’individualité d’un individu. » Et, en vers, M. Vielé-Griffin exprimera assez bien cette création de l’univers par le moi qui le fait en le concevant, à propos seulement de la sensation visuelle qui lui vient de lui.


Debout, appuyé d’une main
A quelques pierres des temps anciens
Je sentais cette vie en moi,
Et que je créais tout cela,
La ville, le lac, les faîtes blancs,
Du grand regard de mes vingt ans.


Pour ce qui est de la forme rythmique qu’ils ont adoptée, on sait assez qu’ils ont hésité beaucoup, qu’ils ont tâtonné. Ils ont senti ou cru sentir qu’à une poésie qui voulait être si fluide, si peu arrêtée, si peu déterminée comme une eau dans un vase par son contenant, si fugace et sinueuse au contraire comme une eau en liberté, il fallait une forme rythmique qui ne fût pas consacrée, traditionnelle, moule légué, prison héritée, mais qui se créât elle-même, à chaque moment, à chaque nouveau mouvement ou nouvelle nuance de la pensée. Créer un rythme que vous inspire la première pensée qui vous vient, en créer un autre que vous suggère la seconde pensée qui vous arrive, en créer un autre que vous impose la troisième pensée qui se présente,