Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/413

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distance immensurable entre ce rythme et ceux des symbolistes. Il ne peut y avoir de rythme constamment personnel, constamment original et constamment renouvelé, qu’en prose. Les symbolistes ont écrit en prose, en prose rythmée ou qui avait l’intention de l’être ; mais en prose, comme Bossuet, comme Bernardin de Saint-Pierre, comme Chateaubriand ou comme Michelet.

Verlaine n’avait ni fait ainsi, ni conseillé d’aller jusque-là. Il avait seulement conseillé « l’impair, » comme plus fluide et plus « soluble dans l’air, » en quoi il avait bien raison et était dans le sens de l’évolution qui se préparait. Le vers impair en effet, parce qu’il ne peut pas se scander, c’est-à-dire se scinder, en parties égales, est moins rythmique, je veux dire est moins rythmique consacré, moins net à l’oreille, moins exactement frappé ; il ne donne pas l’impression du métronome. Le vers impair est prose rythmée. (Exception faite du vers de neuf syllabes coupé 3-3-3 qui, tout de suite, s’il est coupé ainsi, devient le vers le plus rythmé et le plus métronomique des vers ; mais le vers de cinq syllabes, le vers de sept, le vers de neuf coupé 4-5 ou 5-4, le vers de onze, sont de la prose rythmée, de la prose à rythme incertain et indécis, charmante du reste en mains habiles.)

Verlaine était donc bien sur la voie ; il marchait vers la prose musicale.

Ses disciples s’établirent nettement dans la prose musicale et, pour ce qu’ils voulaient faire, ils étaient très logiques, très bien inspirés et avaient raison, absolument raison. Seulement, ils furent très maladroits dans la réalisation de leur doctrine. D’abord, le plus souvent, ayant l’intention d’écrire en une prose où le rythme fût constamment original et constamment renouvelé, ils écrivirent dans une prose qui n’était pas rythmique du tout. Ceci, je ne peux pas le prouver ; c’est affaire d’impression, d’oreille. Mais, — contrôle insuffisant, de quelque valeur toutefois, — lisez-moi une page de Bossuet, de Bernardin ou de Chateaubriand et surprenez le rythme. Vous verrez que les membres de la phrase musicale sont de longueur différente, mais non point de longueur très différente. Ce sont des groupes de sept, huit, neuf syllabes, formant, quand on les prend deux à deux, des groupes de quatorze, quinze, seize, dix-sept syllabes coupés et légèrement reposés par une césure. Chez les symbolistes, vous trouvez sans cesse des groupes de deux ou trois syllabes juxtaposés à des groupes de quinze, seize, dix-sept... Et ce serait