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excellent, — encore, — pour produire un effet. Mais le plus souvent l’on n’a nulle impression de l’effet que l’auteur a voulu produire, et il n’y a que la sensation qu’il n’y a pas de rythme du tout. Il pourra toujours dire que son rythme, lui, il le sent et que c’est notre faute si... Sans doute ; mais un rythme ne peut pas être autre chose cependant qu’une convention, — je crois que souvent il n’est rien de plus, — entre le chanteur et l’auditeur, ou une co-sensation entre le chanteur et l’auditeur ; et que l’auditeur, bien souvent, n’ait pas ; tout parti pris mis de côté, saisi le rythme du chanteur, c’est tout au moins une prévention contre celui-ci. Or c’est tout à fait ce qui est arrivé à nos symbolistes.

Deuxième maladresse : ils ont conservé la rime ou l’assonance. C’est ce qui m’a toujours stupéfié. Comment ! Ils veulent le rythme libre, original, spontané, constamment renouvelé ; et ils conservent ce qui rappelle le plus le rythme consacré et par conséquent, là où il n’est pas, en signale l’absence ! Pourquoi ne faut-il pas de rime en prose ? Parce que la rime en scandant la prose ici, là et plus loin, rappelle le rythme consacré, traditionnel, le fait rechercher par le lecteur et le fait instinctivement regretter quand il n’est pas. Quand vous quittez le rythme consacré, vous devez donc quitter la rime, ou vous donnez cette sensation, non de prose musicale, mais de vers faux, ou encore vous donnez cette sensation d’un intermédiaire hésitant, balbutiant et boiteux entre la prose et les vers. La rime est rythme, comme son nom l’indique du reste très étymologiquement ; mais elle rythme des rythmes traditionnels. Quand elle rythme des rythmes libres, elle ne fait que nous avertir que nous avons affaire à des rythmes libres qui semblent regretter de n’être pas fixes. Elle ne dit qu’une chose : « Voyez comme ces vers sont faux. »

— Mais si elle n’y était pas, les vers vous paraîtraient-ils moins faux ?

— Point du tout, je les prendrais pour ce qu’ils sont, pour de la prose librement cadencée. Il n’y a qu’une chose qui rythme le rythme libre, c’est la virgule, le point et virgule et le point.

Ce n’est point l’avertissement qui avait manqué aux symbolistes et l’avertissement était venu de haut. Verlaine avait dit : « Prends-moi la rime et tords-lui le cou. » Et M. Vielé-Griffin écrivait : « Outre l’absurdité de la classification arbitraire des rimes en masculines et féminines, il n’est pas possible à toutes