Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/418

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les symbolistes sont des fils téméraires des romantiques. On peut dire que les voies du romantisme ont été retrouvées et suivies par les symbolistes, et qu’ils n’ont trouvé qu’une nouvelle façon d’y marcher, et que les sources du romantisme ont été retrouvées par les symbolistes, et qu’ils n’ont inventé qu’une nouvelle façon d’y boire. Les différences sont celles-ci. Le romantisme est déclamatoire, le symbolisme ne l’est pour ainsi dire jamais. Le romantisme est exagéreur ; le symbolisme a un grand souci de chercher et d’exprimer la simple et même l’humble vérité ; le romantisme a une musique extérieure en quelque sorte, et ce sont les sonorités de la nature, je ne dis pas qu’il cherche à imiter et il a détesté « l’harmonie imitative, » mais dont il aime à s’inspirer ; et c’est uniquement la musique intérieure, la musique de l’âme que les symbolistes se sont ingéniés à faire passer dans leurs œuvres. Le romantisme et le symbolisme ont été tous deux individualistes, mais le romantisme avec un caractère tumultueusement, bruyamment et torrentiellement confidentiel ; le symbolisme avec discrétion, avec pudeur et le soin de dissimuler les confidences sous le voile mystique des symboles. — La plus grande différence, c’est que presque tous les poètes romantiques ont cherché à avoir une influence populaire, ont songé au forum et que cette préoccupation est généralement étrangère aux symbolistes, par ce côté et à cet égard beaucoup plus parnassiens et impassibles qu’ils n’ont cru l’être.

On ne peut pas dire que l’Ecole symboliste ait réussi ; mais elle avait, soit comme idées négatives et de réaction, soit comme idées positives et essentielles, quelques idées justes, et elle a encore une fois, pour se servir des expressions de Fénelon, « dénoué notre versification, » non pas « naissante, » mais vieillie. Et elle l’a trop dénouée, dénouée jusqu’à la relâcher ; mais encore est-il qu’elle avait besoin, au temps où ils arrivèrent, d’un peu de « dislocation, » comme parle Hugo. Elle a assoupli des talens naissans, qui peut-être n’avaient pas affaire d’être assouplis, qui peut-être n’étaient pas sans quelque besoin de l’être ; et c’est ce qu’on ne peut pas savoir et, sinon l’effet, du moins l’événement en a été bon. On ne peut refuser à cette école ni estime, ni reconnaissance, et elle a marqué son passage dans l’histoire des lettres, non sans honneur.


ÉMILE FAGUET.