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au royaume d’Italie, c’est à peine si Victor-Emmanuel II l’habita quelque temps. Aujourd’hui, le palais, dégarni d’une partie des œuvres d’art et du mobilier qu’on transporta à Monza, n’est plus qu’un monument national, d’un entretien fort coûteux, dont le gouvernement italien chercha souvent à se défaire. Mais, fort heureusement, une clause du contrat de vente empêche le morcellement du domaine ; et, malgré des mises à prix dérisoires (moins de 200 000 francs m’a-t-on dit), Strà appartient toujours à l’État. Comment cette magnifique demeure n’a-t-elle pas tenté encore quelque milliardaire américain, épris de souvenirs historiques ?

Une vaste prairie, mal entretenue, précède le palais et met en valeur l’imposante façade. On sent qu’Alvise Pisani avait rapporté de son ambassade à la Cour de France le goût des constructions majestueuses. On ne peut s’empêcher de songer à Versailles devant cette accumulation de colonnades, de pilastres, de frontons et de cariatides. L’ensemble est d’une architecture un peu composite, mais puissante ; l’ampleur des lignes y masque habilement le style bigarré. La solennité de l’entrée répond à la solennité de la façade. Un immense vestibule se prolonge jusqu’à l’autre bout du palais, coupé par les colonnes massives qui supportent la salle de bal. Il n’y a, par suite, aucune pièce intéressante au rez-de-chaussée. En somme, cet énorme bâtiment ne compte qu’un seul étage ; mais celui-ci est parfaitement ordonné. Le plan est d’une simplicité remarquable. Au centre, le salon et les deux cours intérieures qui l’éclairent latéralement ; tout autour, un vaste corridor sur lequel s’ouvrent les chambres qui prennent jour sur les quatre faces du palais ; je n’en sais plus le nombre, mais il dépasse la centaine. La visite en est un peu fastidieuse, sous la conduite d’un gardien, — amusant pendant un moment, — qui s’émeut encore à l’idée que tant de têtes couronnées y ont habité. Avec quelle déférence, il montre le billard sur lequel jouèrent successivement les souverains de trois pays ! Le lit où coucha Napoléon Ier lui inspire une particulière vénération. En revanche, le brave custode a moins de respect dans les pièces qui abritèrent les secrètes amours du Re galantuomo ou de Marie-Louise-Thérèse de Parme, la vieille reine d’Espagne, maîtresse de Godoy. Les œuvres d’art sont rares et je n’ai vu, comme salle vraiment curieuse, que celle où se réunissait le Conseil des Dix, du temps d’Alvise Pisani. Les