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et chasse le démon de la peste qui fuit, en un raccourci extraordinairement audacieux. Au premier plan, dans un groupe de mourans, un enfant en pleurs serre désespérément le corps de sa mère agonisante. Derrière, on aperçoit Este, avec ses tours et les deux montagnes pointues qui ferment si joliment son horizon. Ici encore, je m’associe volontiers au jugement de M. Molmenti : « Grandeur du dessin, merveilleux effet du relief, variété des poses, expression des visages, science des raccourcis, tout est admirable dans cette composition. »

Non loin des ruines du château et de l’Église, sur la colline contre laquelle Este s’appuie, est également la villa que lord Byron loua en 1817 et qu’il prêta l’année suivante à son ami Shelley. Une inscription rappelle ce double souvenir : Giorgio lord Byron — nel 1817 e 1818 — dimorò in questa villa — ebbe ospite — Shelley — e qui scriveva spaziando — per la natura e il castello — con ala immensa di fantasia. La vue est, en effet, très belle et je comprends qu’elle ait enchanté des yeux romantiques. « Derrière nous, écrit Shelley dans une lettre, sont les monts Euganéens… Au bout du jardin est un grand château gothique qui n’est plus habité que par les chats-huans et les chauves-souris… Devant s’étendent les vastes plaines unies de la Lombardie, où je vois le lever et le coucher du soleil et de la lune, et l’étoile du soir et la splendeur dorée des nuages d’automne… » Moi aussi, je me suis oublié à rêver dans ces jardins où frémirent, il y a moins d’un siècle, les cœurs passionnés des jeunes Anglais. Le jour tombe déjà et je n’aurai vu ni la Vierge de Cima da Conegliano, ni la belle Méduse du Musée national. Qu’importe ! C’est ici que Shelley composa les Vers écrits dans les monts Euganéens. Le panorama n’a guère changé ; seule, la ligne ferrée coupe maintenant la plaine. Mais les vieux murs ont gardé leur silhouette et déjà les chauves-souris y reprennent leur vol maladroit. Voici la nuit chère aux amans et l’ombre où se joignent les mains. Ah ! savourons encore un moment la douceur de cette heure ! Attendons, pour redescendre dans la ville, que s’éteigne à l’horizon, ce soir après tant d’autres soirs, la splendeur dorée des nuages d’automne.