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Bien que déchue depuis longtemps, Este a conservé grand air. Ses avenues sont larges, bien entretenues, bordées de maisons à arcades presque toutes différentes d’arrangement et d’ornementation. La place centrale a belle allure avec ses palais qui abritent le Municipe, le Tribunal et le Mont-de-Piété. Au centre se dresse, suivant la mode vénitienne, un haut mât porté par quatre lions. Des portes flanquées de tourelles commandent les entrées de la ville. Au out des rues, l’horizon est barré, tantôt par les pentes vertes de collines ensoleillées, semées de villas, de jardins, de vignobles et d’olivettes, tantôt par les murailles du château qu’édifia, au XIVe siècle, Ubertin de Carrare. Peu de ruines sont aussi évocatrices que ces restes de constructions en briques rouges, souvent entièrement recouvertes de lierre. Des meules de paille s’appuient aux vieilles tours que la neige des amandiers, au printemps, sème de flocons blancs. Des fleurs poussent aux joints des pierres, ajoutant leur poésie à la mélancolie des choses ; un coquelicot exilé, un jeune rosier agrippé au flanc d’un rempart ont souvent plus de grâce qu’un parterre savamment combiné.

Tout près du château, s’élève la basilique de Sainte-Técla. Son origine se perd dans la nuit des siècles et l’histoire de son chapitre est une des plus glorieuses d’Italie. Le bâtiment actuel ne date que du XVIIIe siècle, le précédent ayant été détruit par un tremblement de terre, un jour des Rameaux, au moment même, d’après la légende, où le prêtre lisait les paroles de l’Evangéliste : terra mota est. Aujourd’hui encore, il parait que l’église et son clergé jouissent d’honneurs et de privilèges spéciaux. Mais, pour moi, son principal titre de gloire est le Tiepolo qui orne le chœur surélevé, où il a été placé en 1757 et d’où il n’a jamais bougé. C’est un des chefs-d’œuvre du peintre, peut-être sa meilleure peinture à l’huile. Et vraiment, ayant encore dans les yeux l’éclat du plafond de Strà, je ne puis qu’admirer une fois de plus la diversité du prodigieux décorateur. Autant la fresque est lumineuse, autant la toile a la tonalité grise et éteinte qui convient au sujet : Sainte Técla délivrant Este de la peste. De grandes dimensions, — 7 mètres sur 4 environ, — elle se rapproche, par son caractère dramatique, de certaines œuvres modernes. Sur le fond chargé de nuages qui enveloppent sinistrement la ville frappée du fléau, la sainte se détache avec un relief vigoureux. Dieu apparaît dans les nuées