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Mais allez donc commettre un crime pour la femme que vous aimez, quand elle ne vous aime pas ! Elle en sera éperdument reconnaissante, — à un autre, qui a sur vous la supériorité d’être celui qu’elle aime. Lady Falkland ne doute pas que le crime qui la libère n’ait été commis par le prince russe et sa passion redouble pour le sympathique assassin. Et à qui vient-elle faire confidence de son admiration pour le sublime meurtrier ? A Sévigné. Tout de même il nous semble que cette femme pousse plus loin que les limites connues le manque de clairvoyance. Comment n’a-t-elle pas compris que le guet-apens de la nuit précédente avait été combiné entre son mari et son amant ? L’attitude de celui-ci suait la traîtrise... Sévigné est désespéré, mais il n’est pas dégrisé. Il reste aussi amoureux ; et il n’en sera que plus héroïque. Il poussera l’héroïsme jusqu’à l’absurde. Afin de sauver l’immonde Cernuwitz, il se dénonce lui-même à Mehmet pacha. Mais il paraît que la police turque est pleine de bonhomie. Mehmet pacha a sous la main un criminel déjà titulaire de tant d’assassinats qu’un de plus ou un de moins ne changerait rien à son affaire. On lui fera endosser l’assassinat du directeur de la Banque ottomane... Lady Falkland a tout entendu d’une pièce voisine. (On écoute beaucoup aux portes dans cette pièce, comme d’ailleurs dans tous les drames et tous les mélodrames.) Cette révélation la plonge dans la confusion et lui fait souhaiter de renoncer au monde, où décidément elle s’adapte mal... Tout cela est terriblement artificiel et combiné uniquement en vue de l’effet ; mais, telle qu’elle est, la pièce est bien faite et agit comme il faut sur les nerfs.

J’ai déjà dit le succès de M. Gémier au troisième acte. Il a soutenu l’intérêt au quatrième par l’intensité avec laquelle il a traduit son émotion, et par la concentration de son jeu. Le rôle de lady Falkland a trouvé en Mme Madeleine Lély une excellente interprète. Elle a été extrêmement touchante au troisième acte où, pour exprimer sa détresse, elle a trouvé de vraies larmes et de réels sanglots.


M. Brieux ne fait du théâtre que pour mettre des idées au théâtre et pour y soutenir, sinon des thèses, du moins des causes généreuses. La pièce l’intéresse moins que l’idée, et le succès de la pièce n’a de prix à ses yeux que parce qu’il aide au succès de la cause. Parmi les problèmes de l’époque présente, il en est un qui n’a cessé de le préoccuper : celui de la condition faite à la femme par notre état social. Il faut croire qu’en vingt ans, malgré les sociologues, malgré les auteurs dramatiques et malgré M. Brieux lui-même, la question n’a pas beaucoup