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pris la direction de l’atelier de reliure, à la papeterie Féliat, près Êvreux Elle a organisé parmi ses ouvrières un syndicat de femmes, à l’instar des syndicats d’hommes. Mais ce que les hommes jugent commode pour eux, ils ont eu de tout temps soin de l’interdire aux femmes. Si bien que la C. G. T. envoie tout exprès un délégué à l’effet de dissoudre le syndicat féminin... Une scène excellente est celle où un ouvrier, Vincent, vient solliciter Thérèse de prendre sa femme comme ouvrière. Il ne demande pas pour elle un fort salaire, un salaire d’homme, bien sûr ; mais il rêve qu’elle gagne assez pour lui payer son tabac et les parties de billard où il l’invitera à le regarder. Une autre, vraiment saisissante, est celle où une vieille femme répond à l’argument de ceux qui veulent que la femme reste à la maison au lieu d’aller à atelier. « A la maison ? C’était bon autrefois, quand on avait quelque chose à faire à la maison. La ménagère avait mille occupations : filer la quenouille, tirer l’eau du puits, allumer les feux, que sais-je ? Aujourd’hui on ne file plus : les grands magasins vous livrent à meilleur marché des vêtemens confectionnés : on tourne un robinet pour faire couler l’eau, sortir le gaz, jaillir l’électricité... « Il va sans dire que M. Féliat cède aux injonctions du Délégué de la C. G. T. Thérèse est, une fois de plus, repoussée, sans asile et sans pain.

Tel est l’égoïsme, telle est la brutalité de l’homme. M. Brieux les dénonce avec une virulence que je ne trouve pas exagérée. Mais qu’y faire ? Espère-t-il vraiment un changement dans les mœurs ? Ou plutôt, ne serait-il pas d’avis que, depuis vingt ans de revendications féministes et de prétendue émancipation de la femme, nous faisons fausse route ? Je remarque que si Thérèse n’avait pas été une jeune fille moderne, férue d’indépendance, elle serait allée vivre paisiblement avec des parens un peu ennuyeux, un peu désagréables, mais enfin supportables, près d’Evreux qui est une bonne petite ville, où il n’est pas du tout impossible que son charme discret et sa grâce mélancolique eussent touché le cœur d’un brave garçon.

Le rôle de Thérèse a fourni à Mlle Provost une création remarquable, où elle a révélé des qualités de sentiment et d’émotion qu’on ne lui connaissait pas encore. Mme e Marquet a mis en plein relief et personnage épisodique de Caroline Legrand. M. Signoret (Féliat) le M. Calmettes (Néris) ont été suffisans.


RENE DOUMIC.