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reconnais aussi : c’est celle d’un jeune garçon, du bâtard de Handel ! Non pas son fils légitime, non ! La femme qui est venue de Genève, jamais elle n’a été l’épouse de Handel. Car le rite calviniste est pour nous sans valeur, et c’est d’après ce rite qu’il s’est uni à elle, tout de même que, plus tard, il l’a enterrée à la manière calviniste ! Je me trouvais alors à Glink, où elle est morte, et je le sais bien. Ce Courtelion, comme il s’appelait, se faisait passer pour leur intendant : mais c’était un prédicant calviniste. Je le sais bien !

Devant la porte, le prieur, d’une voix plaintive et déférente, murmurait : « Faible, oh ! bien faible. » Puis on entendit la basse vigoureuse de l’aîné des Handel, exprimant l’espoir que les moines allaient appeler un médecin, et donner au malade les remèdes que requérait son état. Après quoi, un poing robuste ouvrit la porte de la cellule, et les deux figures imposantes apparurent sur le seuil. L’un des deux hommes était vêtu d’une robe noire de magistrat, par-dessus laquelle flottait une ample pelisse. L’autre, le plus jeune, portait l’uniforme blanc et bleu de la milice municipale de Steyer ; et à côté d’eux, humblement, se glissait le prieur.

Joachim Handel, en entrant, chercha d’un coup d’œil rapide l’homme qu’il croyait étendu sur son lit de mourant ; et il fut surpris de le voir assis sur son fauteuil, ferme et droit, malgré l’ombre terrible de la mort sur son visage, avec près de lui, dans une attitude pleine de fierté, cet autre moine, cet odieux braillard et excitateur des passions populaires, qui allait bientôt se trouver l’unique ennemi de son légitime pouvoir.

— Messire abbé, l’on m’a prié de me rendre ici avec un témoin, pour recevoir une plainte ! Me voici, et voici mon témoin ! De quoi s’agit-il ?

Handel est un puissant seigneur, et tous ces moines ne sont que de bien pauvres créatures devant lui, et le fait qu’il ait daigné venir est une grâce royale : mais c’est de quoi il ne laisse rien apparaître, dans son attitude. Sa voix est contenue, ainsi qu’il sied dans la chambre d’un malade ; et des égards se devinent dans son pas lent et calme jusqu’au fauteuil de l’abbé. Au contraire, le jeune guerrier, son fils, s’avance d’un pas bruyant et martial, avec le désir évident d’imposer respect au vieux frocard. Que celui-ci soit mourant, personne ne l’en a informé.

Aussi s’étonne-t-il grandement de ce qu’il aperçoit, en pénétrant dans la cellule. Appuyé sur sa longue épée, il considère le vieillard, de ses yeux noirs et brillans. « Mais cet homme-là paraît malade ? On dirait qu’il va mourir ! Et logé comme un paysan, avec son pauvre habit loqueteux ! »

Le malade a saisi fortement les bras du fauteuil, aspiré profondément pour retrouver son souffle ; et puis, d’une voix grave et distincte :

— Seigneur Handel, vous êtes venu, par ce mauvais temps ! Je vous remercie.

— Inutile de me remercier ! dit Handel. Mais de quoi s’agit-il ?

Alors l’abbé parla, un poing appuyé sur son cœur, et maintenant d’un ton qui fit trembler le prieur, à demi caché derrière le fauteuil ;

— Il s’agit d’un grand scandale, seigneur Handel ! Un homme qui a couvert de honte son monastère et moi, un nommé Romulus Kern, est revenu à Steyer et s’est vu accueilli dans la maison de vos prédicans, et cela, suivant ce que l’on dit, sur vos propres ordres. Est-ce vrai ?