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fille d’une pauvre cabaretière styrienne qu’en la comparant à notre image familière de la petite paysanne de Domrémy, obscurément occupée à amasser dans son cœur un trésor de sentimens passionnés où la pitié se mêle d’une juste colère, — en attendant qu’un jour ce grand cœur trop rempli finisse par déborder, et change du même coup la timide enfant ingénue en une hardie et invincible guerrière au service de Dieu.

Voici, par exemple, Stephana Schwertner, au plus fort de l’oppression des catholiques styriens, et, lorsque les nouveaux supérieurs du monastère de Garsten eux-mêmes s’efforcent d’imposer silence au trop zélé frère Albert, la voici qui vient humblement relever le courage du moine :


— Est-ce que notre père ne reçoit pas de confessions aujourd’hui ? — demanda une voix tremblante de pieux respect.

Le moine, qui s’était agenouillé en prière, se releva vivement. Devant lui se tenait Stephana, enveloppée de son fichu gris. De petites étoiles de neige étincelaient, comme les perles d’une couronne, sur son front qu’entouraient, par-dessous le fichu, des cheveux d’un brun d’or.

— Tu es venue par ce temps affreux, Stephana ? dit le frère Albert. En effet, je ne confesse pas aujourd’hui dans l’église, mais tu peux l’agenouiller ici près de moi !

Elle s’empressa de se mettre à genoux, et avoua tout bas ce qui, depuis sa dernière confession, troublait le clair miroir de son âme : impatience, distraction, négligence aux devoirs, et mainte pensée vaine. Puis, quand Albert l’eut absoute et lui eut donné la bénédiction sacerdotale, elle se releva toute souriante, se dressa devant lui, et dit :

— Mon père, est-ce que je puis oser vous dire quelque chose ?

— Quoi donc ?

— Eh bien ! je me demande pourquoi nous devons souffrir que ce mauvais homme nous enlève nos églises l’une après l’autre ! Quand il dit que la chapelle de Sainte-Marguerite menace ruine, j’ai l’idée que l’on devrait la restaurer, de manière qu’il fût forcé de nous la rendre ! Et s’il n’y a pas d’argent, on n’a qu’à en recueillir !... Moi-même j’ai déjà commencé,— reprit-elle en baissant ses beaux yeux d’enfant, et en tirant de sa poche une pièce d’argent. — Tenez, voilà déjà ce qu’on m’a donné ! et il y en a d’autres encore, qui m’en ont promis. Tout ce que je pourrai obtenir, je vous l’apporterai pour la chapelle de Sainte-Marguerite. N’est-ce pas ?

Le moine, sans répondre, lui prit la pièce d’argent. « La pauvre fille n’a plus rien à elle ! songeait-il. Elle a donné au prieur jusqu’à son dernier sou, et maintenant la voici qui quête pour le pauvre Sauveur, abandonné des habitans de Steyer ! » Ses yeux s’obscurcirent, tant l’émouvaient la foi de Stephana et sa charité. « Combien plus de joie au ciel pour son généreux sacrifice que pour tous mes sermons bien ronflans, encore que j’y verse tout mon cœur ! »