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Mais les planètes n’ont pas attendu que Newton et Képler naquissent pour tourner selon les lois de Newton et de Képler. Ainsi l’homme obéit aux lois de sa nature, même quand il les ignore, et par conséquent aussi à la loi du progrès, loi qui le pousse à passer de l’égoïsme à l’altruisme, en découvrant, par le moyen de la science, l’ordre de l’univers. En premier lieu, il crée les sciences mathématiques, puis les sciences physiques et chimiques, puis les sciences biologiques, c’est-à-dire qu’il découvre les lois du nombre et de l’espace, du mouvement, de la matière et de la vie. Maintenant, il s’apprête à faire le dernier pas, à découvrir les lois de la nature humaine et de la vie sociale, afin de réduire à un ordre scientifique le chaos des passions et des égoïsmes. Le système solaire et toute la nature ne présentent-ils pas un ordre parfait ? Eh bien ! la famille et l’Etat doivent aussi devenir un ordre parfait, comme le système solaire. Ordre, et progrès, c’est la devise écrite sur le drapeau jaune et vert du Brésil.

— Auguste Comte ! Auguste Comte ! dis-je en souriant.

— Vous identifiez donc la science et le progrès ? interrogea Cavalcanti.

L’amiral en convint. Il ajouta que les connaissances scientifiques pouvaient s’additionner, de telle sorte qu’il y avait là un critérium quantitatif du progrès. Aujourd’hui, un élève de lycée sait plus de physique que Galilée et plus de chimie que Lavoisier. Alverighi écouta sans approuver et sans critiquer ; il se contenta de faire observer ensuite que les richesses de l’Amérique ont été et sont encore le plus puissant moteur du progrès scientifique. Après quoi, on causa d’Auguste Comte.

— A propos, interrompit Alverighi, M. Cavalcanti m’a dit qu’à Rio-de-Janeiro on pratique le culte de l’Humanité fondé par Comte ; qu’il y a un temple construit à l’imitation du Panthéon de Paris...

L’amiral répondit que oui. Cavalcanti expliqua qu’au Brésil, la République a été fondée par les Comtistes. Je racontai que, pendant mon séjour à Rio, j’avais visité, dans la rue Benjamin-Constant, ce petit temple de l’Humanité, et que j’avais eu une longue et agréable conversation avec le grand prêtre, M. Texeira Mendès. La cloche nous appela pour le déjeuner, où Rosetti ne parut point. L’entretien ne roula que sur des choses frivoles. Quand le déjeuner fut fini, nous apprîmes qu’à midi nous étions