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Je ne pus m’empêcher de lui dire que, cette fois, son mari avait raisonné avec prudence. Mais mon observation ne lui plut point.

— C’est cela : vous donnez toujours raison à mon mari ! Les hommes ne manquent jamais de se soutenir entre eux... Mais si vous aviez vu, quand le scandale éclata ! Comme d’habitude, mon mari perdit la tête : il ne dormait plus, ne mangeait plus, n’osait plus ouvrir les journaux ; il s’évanouissait presque à chaque télégramme. En vérité, c’était comique !

— Oh ! madame, comique ? m’écriai-je malgré moi, avec un accent de reproche.

— Oui, comique. Et il s’en prenait à Underhill, quand celui-ci n’était pas là : il le traitait de scélérat, de colosse aux pieds d’argile et même de Nabuchodonosor. Du reste, ils étaient tous affolés, sauf Underhill, naturellement. C’était un homme, celui-là, un grand homme, un héros ! Je voudrais que vous l’eussiez vu, pour écrire ensuite son histoire : le sujet eût été digne de vous. Ils le faisaient tous appeler, allaient le trouver, lui écrivaient, lui téléphonaient ; on le suppliait de prendre un congé, de partir pour l’Europe ; ils lui offraient de grandes compensations, s’il consentait à démissionner ; ils le suppliaient de se défendre au moins, de parler, d’écrire. Peine perdue. Underhill ne partit pas, ne prononça pas une parole, continua à s’occuper de ses affaires comme s’il ne se passait rien du tout. « Si j’ai violé les lois, qu’on me poursuive. Je répondrai à la justice, mais aux journaux, non. Que le public s’occupe de ses affaires, et non des miennes ! » On lui démontrait qu’il aurait pu réfuter victorieusement toutes les calomnies ; et il se contentait de dire que le public est une grande bête. Il fut admirable, vous dis-je, et il sauva tout : car le fait est que, le public, après s’être époumoné, se calma, et il n’arriva rien du tout. Mais nous... Ah ! je ne sais ce qui serait advenu de nous, si nous n’avions pas eu alors miss Robbins. Elle a été notre providences

Et elle me raconta que cette miss Robbins était une jeune Anglaise de bonne famille, qui, ruinée par la prodigalité de sa mère, était entrée dans un ordre d’infirmières protestantes.

— Si vous voyiez la belle créature ! ajouta-t-elle. Une grande taille, des cheveux blonds, des yeux bleus admirables, un corps merveilleux !... Et si intelligente, si fine ! Elle avait soigné Judith, pendant sa maladie. Et elle avait si bien su gagner