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simple et ignorante de tout raffinement, tournée tout entière à la production de ces richesses qui lui faisaient horreur. N’en venait-elle pas ainsi à prétendre que son mari fût à la fois le plus vieux des Européens et le plus jeune des Américains ? Toutefois, en y repensant bien, il ne me sembla pas que ces dissentimens fussent suffisans pour justifier un divorce.

Dans la matinée du samedi, je causai longuement de cette histoire avec ma femme. Mais elle vit le cas à la lumière des idées qu’elle avait développées dans un discours prononcé à Buenos-Aires sur la concurrence entre hommes et femmes.

— Mme Feldmann, me dit-elle, souffre du mal qui afflige aujourd’hui toutes les dames riches, l’ennui. Autrefois, avant les machines, la femme, même la femme riche, avait beaucoup à faire chez elle. Mais aujourd’hui, par la faute des machines, les hommes font tout ce qu’autrefois la femme faisait de ses mains ou faisait faire à la maison. Et alors, qu’est-il arrivé ? Dans les classes moyennes et populaires, les femmes, pour vivre, cherchent à apprendre quelque métier masculin, au risque de ruiner leur santé. Dans les hautes classes, où elles n’ont rien à faire, elles se mettent en tête mille caprices, mille lubies. Et néanmoins, les hommes, qui ont volé aux femmes presque tous leurs travaux, à commencer par le tissage, se plaignent que les femmes leur fassent concurrence !

A midi, nous avions atteint 13°34’ de latitude, et 23° de longitude, exactement. Dans l’après-dîner, la mer devint enfin plus tranquille, et les passagers reparurent. Le soir, à table, Alverighi et Cavalcanti étaient présens ; mais Rosetti ne se montra pas.

Dans la nuit du samedi au dimanche, la mer s’apaisa tout à fait, et le dimanche, au déjeuner, il ne manqua personne. Cependant on ne causa que de choses insignifiantes, et avec peu d’animation. Tout le monde se ressentait encore de la récente épreuve. A midi, nous étions à 18°45’ de latitude et 20°4 de longitude. Après le déjeuner, par un temps clair et déjà un peu frais, — car nous cheminions rapidement vers l’automne, — nous passâmes notre temps à causer de sujets divers, à parler surtout des Canaries qui n’étaient plus qu’à un jour et demi de navigation, et à bavarder aussi sur l’arrivée prochaine. Le voyage était plus qu’à moitié fait, et, dans huit jours, s’il ne survenait aucun accident, nous nous promènerions dans les rues de Gênes. Même dans l’après-midi, les discussions ne recommencèrent