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peu en retard sur ce qu’il venait de dire, mais d’un ton bref et résolu :

— Mon mari n’est pas malade.

Je me demandai si j’avais mal entendu. Mon compagnon, stupéfait, s’arrêta une seconde, puis balbutia que le docteur nous avait affirmé...

— Croire aux maladies et faire que les autres y croient, c’est le métier des médecins, répondit-elle sèchement. Mais les maladies n’existent pas.

— Elles n’existent pas ! nous récriâmes-nous presque en même temps.

Et nous la regardâmes tandis qu’elle nous regardait aussi, raide et impassible.

— Cependant, lorsqu’on parcourt le monde et qu’on visite les hôpitaux... reprit Cavalcanti avec un sourire incertain.

— Oh ! répliqua-t-elle, cette fois encore avec un peu de retard, comme si elle avait besoin de quelque temps pour saisir la pensée de son interlocuteur. Tant que les hommes croiront que le froid peut engendrer le rhumatisme ou la phtisie, ils deviendront phtisiques et rhumatisans ; mais la cause de leur maladie sera cette opinion, et non le froid lui-même.

De nouveau il y eut un silence. Les deux ambassadeurs avaient quelque envie de rire ; mais la dame demeurait fort tranquille.

— Néanmoins la science... finis-je par dire, pour dire quelque chose.

Mais elle m’interrompit et me demanda à brûle-pourpoint :

— Pourquoi l’arbre de la vie et l’arbre de la science croissaient-il dans l’Eden ? Pourquoi le serpent poussa-t-il l’homme à goûter les fruits de l’arbre de la science, et non ceux de l’arbre de la vie ? C’est parce que la science, qui prétend classer les maladies, n’est qu’une grossière scolastique de la matière. Mais la matière n’existe pas.

— Qu’est-ce qui existe, alors ? s’empressa d’interroger Cavalcanti, à demi sérieux, cette fois.

— L’esprit symbolisé par l’arbre de la vie, répondit-elle. Qu’est-ce qu’une maladie ? C’est une souffrance que le prétendu malade croit éprouver dans un organe de son corps. Mais, lorsque l’esprit est sorti de l’organisme, — après la mort, — peut-on encore éprouver de la souffrance ? Y a-t-il une drogue.