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un emplâtre ou une science qui puisse guérir un cadavre ? Et néanmoins, vivant ou mort, ce que vous appelez le corps est toujours le corps. Par conséquent, ce qui vit, ce qui souffre, ce que l’on croit malade, c’est l’esprit.

— Mais qu’est-ce que le corps, selon vous ? demanda Cavalcanti, tout à fait sérieux.

— C’est une illusion de l’intelligence mortelle qui attribue l’âme à la matière. Cette illusion engendre la douleur, les maladies, le péché, la mort ; c’est le serpent de la Genèse ; c’est le grand dragon de l’Apocalypse.

Aussi le dragon de l’Apocalypse ! Décidément, elle était folle. Je perdis patience, et, comme Cavalcanti semblait vouloir s’attarder à étudier cette folie-là, je me chargeai de ramener un peu brusquement la conversation à l’objet de notre ambassade, et je dis que le médecin du bord avait le devoir de visiter son mari et de constater si la maladie était contagieuse ou non. Elle m’écouta, poussa un « oh ! » puis se tut et parut réfléchir, toujours raide et immobile. « N’a-t-elle pas compris ou fait-elle la niaise ? » me demandai-je à part moi. Et j’allais revenir à la charge lorsque Cavalcanti intervint, mais avec plus de douceur.

— Laissez venir le docteur, lui conseilla-t-il. Le docteur visitera votre mari, voilà tout ; mais votre mari ne sera nullement obligé de suivre le traitement ordonné.

Elle demeura inébranlable.

— Si le docteur vient, répliqua-t-elle, il lui demandera en quel endroit il souffre, s’il a déjà été malade, etc. Et ensuite j’aurai plus de peine à le guérir...

— A le guérir ? s’écria Cavalcanti. Vous le soignez donc ?

— Vous soignez une maladie qui n’existe pas ? ajoutai-je.

— Et comment le soignez-vous ? insista Cavalcanti.

— Par la Science Chrétienne, répondit-elle.

Je compris enfin ! Mme Yriondo appartenait donc à la secte fondée aux Etats-Unis, sous le nom de Christian Science, par cette Mrs Eddy dont j’avais beaucoup entendu parler en Amérique, secte qui interdit à ses fidèles de se servir des médecins et de croire à la médecine. Le hasard me faisait rencontrer une adepte de la Science Chrétienne à bord du Cordova. Je ne ris plus lorsque Cavalcanti demanda ce que c’était que la Science Chrétienne ; je voulais, moi aussi, profiter des explications.

— C’est Christ, répondit la dame, qui revient dans le monde