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nous agissons sur le monde, des machines idéales qui nous servent à fabriquer ces autres machines de bois et de fer, si exécrées par Mme Ferrero. Une loi scientifique est vraie, non en soi, car en soi elle est plutôt fausse, mais lorsque nous pouvons en tirer profit. C’est donc l’intérêt qui la rend vraie, tout comme c’est l’intérêt qui rend belle l’œuvre d’art. La science est « instrumentale, » dit M. Bergson, et il dit bien. Par conséquent, une science est d’autant plus vraie qu’elle nous est plus utile. Et il suit de là que la médecine ne peut être appelée science que par courtoisie ou par tolérance : en réalité, elle n’est science qu’à demi. Combien nombreux sont les cas où le médecin est en état de dire au malade avec certitude et sans hésitation : « Avalez cela, et vous serez guéri ? »

Mais l’amiral ne voulut pas rendre les armes.

— Non, non, répliqua-t-il, obstiné. Il n’y a aucune proportion entre les services qu’une science nous rend et la somme de vérités certaines qu’elle contient. La médecine nous rend de grands services, et pourtant c’est une science incertaine et mal assurée, parce qu’elle étudie des phénomènes obscurs et complexes. L’astronomie au contraire est une science inutile ou presque inutile pratiquement ; et pourtant combien elle est plus sûre dans ses affirmations que la médecine ! Je ne vais pas nier, sans doute, qu’elle est une science et une science vraie, parce qu’elle ne nous sert point à gagner de l’argent.

— Vous croyez donc que la terre tourne véritablement autour du soleil ? demanda inopinément Rosetti.

À cette question singulière, nous demeurâmes stupéfaits.

— Eh quoi ! protesta aussitôt l’amiral. Le système de Copernic ne serait plus vrai, maintenant ? Elle est trop forte, celle-là !

— Vous avez donc pu croire un seul instant, vous aussi, qu’il était vrai ? répondit Rosetti. Ce n’est pas moi, d’ailleurs, qui révoque en doute cette croyance, c’est Poincaré, le grand mathématicien français. M. Poincaré a démontré que, quand nous disons : « la terre tourne, » nous voulons seulement dire par là qu’il est plus commode pour nous de supposer que la terre tourne et que le soleil reste immobile : car, quant à savoir lequel des deux tourne réellement, nous ne pouvons y parvenir ; et, si nous ne pouvons y parvenir, c’est parce que nous ne pouvons connaître l’espace absolu. Parlons plus clairement. Lorsque, du haut d’un clocher, je vois un homme traverser une