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divinité. On se mit donc à chercher une explication de l’univers qui fût plus conforme à la faiblesse de notre intelligence, et Copernic parut. Que fit ce bon Copernic ? Il représenta le mouvement des astres d’une façon assez grossière, même si on la complète par les lois de Kepler, mais simple, très simple, beaucoup plus simple que ne l’était le système de Ptolémée. Plus simple, certes, mais pas plus vraie, prenez-y garde !

— Mais la simplicité est dans le phénomène et non dans notre tête ! repartit obstinément l’amiral. Nous comprenons le phénomène parce qu’il est simple.

— Non, répondit Rosetti ; nous le comprenons parce que nous l’avons simplifié ; et cela est si vrai que nous pouvons en donner une explication plus compliquée, celle de Ptolémée.

— Mais la théorie de Ptolémée est fausse !

— Oui, si l’on suppose le monde infini. Mais, si l’on veut, comme les anciens, que l’univers soit un système clos, elle est la seule possible.

— Mais le monde est infini, sacrebleu !

— Qui vous l’a dit ? Loin de pouvoir prouver l’existence de l’infini, nous ne réussissons pas même à le concevoir. Qu’y a-t-il là-haut, dans la sombre profondeur de ces espaces constellés ? Quelle distance nous sépare d’eux ? Et combien de milliards de générations faudrait-il, à supposer que l’on put y aller par une mer tranquille et sur un bateau pareil à celui-ci, pour aborder au plus éloigné de ces astres ? Et, lorsque nous aurions enfin posé le pied sur une planète tournant autour de ce soleil qui nous parait situé au bout du monde, combien de mondes nouveaux, aussi éloignés de lui qu’il l’est de nous, nous serait-il donné alors d’apercevoir ? Chacun de ces astres situés à l’infini est donc lui-même le centre d’une sphère infinie ? L’esprit se perd dans ces pensées. S’il est impossible de concevoir un univers clos comme celui d’Aristote, — car on ne peut s’empêcher de demander : « Qu’y a-t-il au delà ? » — il n’est pas moins impossible de se représenter un univers infini, lequel suppose un « au-delà » auquel il serait impossible de trouver jamais une limite. L’infini n’est qu’une hypothèse inintelligible...

Je ne sais quelles idées Rosetti allait développer encore ; mais l’amiral l’interrompit :

— J’ai compris, dit-il mélancoliquement. L’art el la philosophie sont des chimères ; la science est fausse ; le progrès est