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Serbie qu’au Monténégro et dans ce qui était hier la Turquie.

Comment le gouvernement autrichien n’aurait-il pas nourri l’espérance de faire entrer peu à peu sous la domination plus ou moins directe des Habsbourg de nouveaux fragmens de peuples, et tout d’abord ces Serbes dont les frères ou les cousins germains sont déjà sujets de l’Empereur ? Les Albanais, les Slaves de Macédoine auraient suivi ; on aurait trouvé des formes graduées pour préparer peu à peu la juxtaposition, dans l’Empire devenu fédéral, de tant de peuples divers. Il faut méditer toujours la formule lapidaire de Bismarck, que l’on m’excusera, l’ayant déjà citée si souvent, de citer encore :

« Il est naturel que les habitans du bassin du Danube puissent avoir des intérêts et des vues qui s’étendent au delà des limites actuelles de la monarchie austro-hongroise. Et la manière dont l’empire allemand s’est constitué montre le chemin par lequel l’Autriche peut arriver à une conciliation des intérêts politiques et matériels qui sont en présence entre la frontière orientale des populations de race roumaine et les bouches de Cattaro[1]. »

Impossible d’enfermer, en moins de mots, un programme d’avenir plus complet et plus séduisant. Ce programme a été celui de tous les hommes qui ont gouverné l’empire. On a souvent répété : « Les Autrichiens veulent aller à Salonique ; » oui et non : ils n’ont jamais cherché à conquérir et à gouverner directement tous les pays entre la Save et la mer Egée ; mais ils ont rêvé d’y établir, sous une forme plus ou moins précise, un contrôle autrichien, et, en attendant que le moment vînt d’y réaliser leurs desseins, ils se sont attachés à y maintenir et à y perpétuer l’anarchie turque et l’anarchie albanaise. C’est d’eux que sont venus les obstacles à l’intervention européenne en Macédoine et, s’ils ont répandu de l’argent en Albanie, ils se sont gardés d’y apporter de l’ordre, de l’instruction, des routes ; ils ont exigé, en 1903, lors de l’accord de Mürzsteg, que l’Albanie fût laissée en dehors du programme des réformes, dont ils ne permirent, en Macédoine même, qu’une insuffisante et incomplète application. Depuis vingt ans, l’Autriche et l’Allemagne ont secrètement soutenu Abd-ul-Hamid dans sa résistance passive aux réformes demandées par ses sujets et par l’Europe.

  1. Gedanken und Erinnerungen, II, p. 252.