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Le comte d’Æhrenthal, lorsqu’il annexa la Bosnie-Herzégovine, proclama qu’en rappelant les garnisons que le traité de Berlin l’autorisait à entretenir dans trois villes du sandjak de Novi-Bazar, il entendait affirmer que l’Empire n’a pas d’ambitions territoriales au delà des frontières de la Bosnie, mais il s’est gardé de dire que l’Autriche se désintéressait de l’avenir des pays balkaniques : c’était seulement par d’autres moyens qu’elle chercherait à y exercer son influence. A cette époque, un article révélateur du principal journal militaire autrichien, la Danzers Armee Zeitung, que nous avons signalé ici en son temps[1], expliquait que le sandjak de Novi-Bazar, pays montagneux et pauvre, ne serait jamais une route commerciale, que, de Vienne, de Budapest ou d’Agram, une seule route s’ouvre vers la mer Egée, celle que suit actuellement le chemin de fer de Belgrade à Salonique, via Nisch et Uskub ; qu’elle devrait donc, d’une façon ou d’une autre, être placée sous le contrôle du gouvernement austro-hongrois. L’organe militaire concluait en demandant une guerre immédiate qui réduirait la Serbie à merci. Les hommes d’État étaient moins belliqueux que les militaires, mais, au fond, ils partageaient leurs vues ; je n’oublierai jamais, pour ma part, la flamme dont s’anima le regard, d’ordinaire un peu terne, du comte d’Æhrenthal quand il me dit la nécessité où se trouverait un jour l’Autriche de mettre à la raison l’arrogance des Serbes.

Les Serbes ! Il n’est pas un homme politique autrichien ou hongrois qui parle d’eux avec sang-froid. La petite Serbie se dresse entre la coupe balkanique et les lèvres autrichiennes, et c’est ce qu’on ne lui pardonne pas. Si la Serbie a échappé au joug ottoman, elle le doit surtout aux victoires du prince Eugène et de ses émules. Au traité de Passarovitz, une partie de la Serbie actuelle a été annexée à l’Empire. Au XIXe siècle, les querelles dynastiques entretinrent l’anarchie dans le pays qui resta ouvert aux intrigues étrangères. Au temps du roi Milan, l’influence de Vienne était toute-puissante à Belgrade ; la Serbie paraissait destinée à n’être qu’un petit pays troublé par les factions, avec une armée de coup d’Etat, des politiciens à vendre et des princes de casino : ainsi du moins se le représentait-on à Vienne et c’est une opinion qui n’avait pas encore

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1908 et notre ouvrage l’Europe et la Jeune-Turquie, p. 179.