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était un dogme de la politique économique de l’Autriche comme de celle de l’Allemagne. Aux yeux des Autrichiens, les pays balkaniques sont ce qu’est, pour nous et pour l’Espagne, le Maroc : un pays destiné par sa situation géographique, par les conditions de sa vie politique et économique, à ne pas sortir de leur zone d’influence et à tomber peu à peu, comme un fruit mûr, sous leur tutelle. On pensait, à Vienne, depuis la révolution turque, que le fruit mûrissait et qu’il ne tarderait pas à glisser de lui-même dans la main tendue depuis longtemps pour le cueillir.


III

La victoire foudroyante des alliés, l’effondrement de la puissance ottomane ont déjoué tous les calculs, dérouté toutes les prévisions. La sagesse des diplomates et des hommes d’Etat est souvent courte : leur erreur vient presque toujours de ce qu’ils ne tiennent pas un compte suffisant des facteurs moraux. Ils savent le nombre des soldats et des canons, le tonnage des importations et exportations, le chiffre des budgets et des emprunts, ils oublient que c’est la foi qui gagne les batailles et l’âme des peuples qui se reflète dans leurs grandes actions. Pour l’Autriche, qui escomptait une campagne longue et des succès balancés, la rapidité de la victoire bulgare fut une surprise, mais la victoire serbe fut un désastre. Tout ce qu’on avait combiné, tout ce qu’on avait cru, s’écroulait ; on savait la Bulgarie forte, mais voici que la Serbie se révélait puissance militaire ; on apprenait d’abord le succès éclatant de la mobilisation qui mettait en quelques jours plus de 400 000 hommes sous les drapeaux, équipés, habillés, armés ; puis l’enthousiasme réfléchi et discipliné de tout un peuple marchant d’un seul cœur pour la délivrance de ses frères et la grandeur de sa patrie ; enfin la grande et décisive bataille de Kumanovo, qui anéantissait la domination turque dans le Nord de la Macédoine ; l’entrée à Uskub ; l’occupation du sandjak avec le concours des Monténégrins ; l’émouvante cérémonie patriotique au tombeau du tsar Lazare ; le passé lointain rattaché au présent glorieux et cinq siècles d’esclavage abolis en un jour de victoire. Brusquement, la situation nouvelle créée par les succès des allies apparut à l’Autriche avec toutes ses conséquences qu’amplifiaient