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disparu il y a quelques mois. On prenait soin d’ailleurs d’y perpétuer les troubles, d’y susciter les factions et d’y entretenir les rivalités. En 1885, l’Autriche jetait la Serbie contre la Bulgarie, la faisait battre et se donnait le plaisir de la sauver en arrêtant les vainqueurs de Slivnitza. Nous avons déjà exposé ici les progrès qu’a faits la Serbie depuis dix ans ; nous n’y reviendrons pas[1]. A Vienne, on s’obstina à ne pas les voir ; quand, en 1906, la Serbie résista aux exigences économiques de l’Autriche, ce fut de l’étonnement ; quand, en 1908, la Serbie osa protester contre l’annexion de la Bosnie et provoqua une crise diplomatique, ce fut de la colère. Puis vinrent les victoires de 1912... Elles n’ont pas suffi à éclairer le public autrichien ; il parle toujours de la résistance de la Serbie aux volontés de la Ballplatz, comme nous parlerions d’une insurrection au Dahomey. Et cette méconnaissance de l’adversaire, de sa valeur et de ses intérêts légitimes, devient, pour l’Autriche, dans la lutte qu’elle poursuit, une infériorité.

Ce ne sont pas seulement des intérêts et un avenir politiques que l’Autriche-Hongrie a dans les Balkans, ce sont aussi des intérêts économiques de premier ordre. C’est l’industrie autrichienne qui alimente les marchés de la péninsule[2] ; ses produits fabriqués y pénètrent par les ports, par le Danube, par les chemins de fer. Ses sucres ont supplanté les nôtres dans tout l’Orient ; ils sucrent mal et ne fondent pas, mais ils se vendent moins cher, et la clientèle croit faire une économie en les achetant. La Bulgarie, la Serbie ont peu d’industrie ; la Turquie n’en a pas : les unes et les autres sont clientes naturelles de l’Autriche pour les produits manufacturés ; elles demandent à la Hongrie ce que leur agriculture ne produit pas en quantités suffisantes : le blé, les chevaux, etc. L’Autriche n’a pas de colonies ; elle a toujours regardé la péninsule des Balkans et la Méditerranée orientale comme le domaine réservé à son expansion économique ; ses bateaux marchands y trafiquent, ses banques y prospèrent, ses nationaux y travaillent. Le maintien de la vieille Turquie, qui ne produit rien et ne travaille pas.

  1. Voyez la Revue du 1er février 1906 et, dans l’Europe et l’Empire ottoman. Chap. IX.
  2. La péninsule des Balkans fait un commerce total de 2 milliards 314 millions de francs dont 1/5 (548 625 000 francs) avec l’Autriche. Le commerce de la Turquie d’Europe avec l’Autriche est de 195 122 000 francs.