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servir de leçon à notre politique intérieure et extérieure. » Ce fut même M. Sustersitch, le chef prudent et écouté des Slovènes catholiques, qui apporta l’autorité de ses conseils : « L’Autriche-Hongrie doit accepter les faits accomplis et s’accommoder des réalités. Le moindre territoire qu’on laisserait encore aux Turcs en Europe serait le germe de nouveaux troubles, et pour cette raison la monarchie dualiste n’a aucun intérêt à s’opposer à la liquidation des possessions européennes de la Turquie. Elle ne doit pas non plus refuser l’accès à la mer Adriatique au royaume de Serbie. Ce pays n’aura pas de répit tant qu’il ne possédera pas un port de mer ; n’est-il pas plus avantageux pour l’Autriche de lui laisser un port albanais quelconque que de faire revivre ses aspirations sur la Bosnie et la Dalmatie ? » Ainsi les chefs de tous les groupes nationaux slaves de l’Autriche, s’expliquant sur la situation de l’Empire, s’exprimaient, à quelques nuances près, dans le même sens, et ce concours d’opinions parlementaires était l’écho exact, mais atténué, du sentiment des peuples.

Manifestations populaires, manifestations militaires, manifestations parlementaires, révèlent l’état de crise générale que la guerre des Balkans a créé ou aggravé dans tout l’Empire. Gouvernement dictatorial en Croatie ; à Lvov (Lemberg) difficultés entre Polonais et Ruthènes à propos de la fondation d’une Université ruthène ; propagande russophile du comte Bobrinzki en Galicie orientale. A Budapest, le parti gouvernemental siégeant au Parlement sous la férule du comte Tisza et votant sans opposition des lois sans autorité, tandis que l’opposition, avec les comtes Apponyi, Théodore Batthyany, Karolyi, M. Polonyi, M. Kossuth, siège dans un local voisin et se prononce pour une politique amicale vis-à-vis de la Serbie. A Vienne, un gouvernement de bonne volonté, mais embarrassé pour trouver une majorité parlementaire. Partout l’inquiétude, l’effervescence, les passions nationales déchaînées : tel est le tableau. Ajoutez une crise économique générale, la stagnation des affaires : en Autriche, les usines encombrées par suite de la fermeture des marchés des Balkans, de la Mer-Noire, d’Asie Mineure atteints ou menacés par la guerre ; en Hongrie, l’impossibilité de vendre les récoltes de l’été dernier ; partout la hausse du taux de l’intérêt et la raréfaction du numéraire. Enfin la situation précaire du pouvoir suprême vient mettre le comble au malaise général : les mains