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les tendances personnelles du Hohenzollern qui règne sur les Roumains et qui, disait-on, conduisait la politique du pays plutôt selon ses vues et ses sympathies personnelles que suivant les intérêts permanens de la nation. De ce côté-là encore des inquiétudes venaient donc au Cabinet de Vienne ; il pouvait se trouver abandonné par la Roumanie au moment où, en Russie, le sentiment slavophile était le plus vivement surexcité.

Les idées pénètrent lentement dans les masses profondes de la démocratie rurale russe, mais, quand elles y sont une fois entrées, elles ne s’évaporent plus ; elles subsistent à l’état de vouloir latent jusqu’à ce qu’un jour les événemens viennent révéler toute la puissance d’action qui git en elles. Cela est vrai, surtout, de l’idée de fraternité slave. La Sainte-Russie, la Russie héritière de Byzance, a frémi jusque dans ses moelles à l’annonce des victoires des Bulgares et des Serbes. Trente-cinq ans après Plevna, les échos du canon de Kirk-Kilissé ont eu un immense retentissement jusque dans les couches les plus arriérées du peuple. Le plus humble moujik est instruit des victoires de ses frères du Sud, il en est fier et déclare que si quelqu’un tentait de les frustrer du fruit de leurs sacrifices, il se lèverait, avec tous les paysans, pour marcher à leur secours. Le gouvernement est obligé de compter avec ce courant formidable du sentiment populaire et national. Ne serait-ce que pour lui donner une première satisfaction, il est obligé de prendre des précautions militaires et, malgré ses dispositions prudentes et sages, il peut se trouver entraîné plus loin qu’il ne souhaiterait d’aller. On sait tout cela, à Vienne, et c’est une cause nouvelle d’inquiétude et de préoccupation.

Telle était, à grands traits, la situation de l’Empire austro-hongrois au moment où les victoires des alliés et leur marche foudroyante sur Constantinople semblaient devoir liquider en quelques jours la question d’Orient en Europe. L’Autriche voit, à ses portes, s’accomplir ou se préparer des changemens matériels et moraux qui touchent directement à ses intérêts essentiels ; une puissance victorieuse surgit dans cette péninsule balkanique où depuis deux siècles sa politique ne rencontrait qu’une matière inerte et malléable ; une Grande-Serbie se constitue avec l’auréole de la victoire et menace d’attirer à elle le groupe des Slaves du Sud ; le monde slave tout entier entre en éruption.